Fauvette à Lunettes à Urueña (22 mai 2012)

Je ne résiste pas à l'envie de faire un article sur la fauvette à lunettes... C'était pour moi une espèce problématique... Allez savoir pourquoi !...

Incorrigible, je suis retourné en Espagne... Ca tourne à l'addiction... Dès que je le quitte, ce pays me manque, comme une amante abandonnée sur un quai de gare... C'est physique !... Ca tourne à la monomanie... Je me rêve en Espagne et j'y passe toutes mes nuits...

L'âpreté de la terre, l'herbe sèche, l'arbre rare, l'homme fruste et presque confus de troubler la marche du temps arrêté... Je ne parle pas de Madrid ou de Barcelone, dont je me contrefiche... Je parle du coeur du pays... De la Castille, de la Navarre, de L'Extremadura... Je parle des murs de boue séchée, des églises obsédantes, des ruelles venteuses où l'ombre ménage pour le passant un hâvre quand le soleil est trop cruel... Je parle des places où le soir toutes les générations se mêlent... Où les enfants jouent sous les yeux de leurs mères... Où les groupes se forment et se déforment, de l'ombre à la lumière et de la lumière à l'ombre... Ne me parlez plus de lien social ou d'identité culturelle, allez voir là-bas dans les cités provinciales ou les villages de Castille... Ça vous fera du bien et ça vous fera du mal... Cette Espagne, c'est ma madeleine de Proust... Elle ramène à mon souvenir tout ce que j'ai connu enfant ou qu'on m'a raconté et que j'ai cru avoir connu... C'est une magicienne, une pythie à l'envers qui te prédit ton passé... Je peux communier avec ce monde et m'y dissoudre pour mieux m'y retrouver... C'est simple, silencieux et lourd, comme le sont certains romans de Giono... Le soleil te plaque au sol d'une gifle titanesque et lente, pour te faire connaître la poussière et tout ce qu'elle a d'allégorique.... Tu es le prêtre athée, l'anarchiste contemplatif, le misanthrope bienveillant : tu es un oxymore !... En te fondant dans la masse, en acceptant ta condition d'animal rampant, tu deviens un géant, tu deviens humblement le centre de l'univers... C'est un rite de passage : l'apaisement par l'hypertrophie de la sensibilité... Voila l'effet que cette terre a sur moi... Elle me porte à l'incandescence, plus encore par son éloignement que par sa présence... 

Les villes et les villages s'arrêtent brutalement, là où commence la campagne... Pas cette urticaire de pavillons "à la française", qui se répand le long des routes à la sortie du moindre hameau et jusqu'au prochain... Ici, on sait où ça commence et on sait où ça s'arrête... Pas ces haies, ces grillages, ces murs... Pas ces berges de rivières "privatisées" où il faut contourner la "propriété" - ou oser la violation de domicile - pour voir un peu d'eau... Si vous n'atteignez pas les berges du Douro, de l'Ebre ou du Tage, c'est que vous n'êtes pas assez courageux... Il faut traverser des roselières ou pénétrer des fourrés, c'est tout... Seul le monde s'oppose à vous, jamais l'homme... Et le monde ne vous en voudra pas si vous le violez, il n'est pas rancunier et vous oubliera vite... Pas de droit de passage ultérieur, pas de mauvaise conscience... Tout est dans l'instant...

En France, on trouve cette sensation de liberté, de "great wide open" seulement dans des secteurs oubliés : causses, garrigues ou montagnes... Avancer sans entrave, sous l'oeil de personne ou alors seulement sous celui du paysan qui passe au loin, indifférent et plongé dans sa vie...

Je reviens à ma fauvette... C'était le but de l'article... Je ne l'ai pas oubliée, mais elle fait partie du tout... 

J'avais cherché cette espèce en Camargue, dans la sanssouire (vue et mauvaise photo), dans les Corbières (vue et mauvaise photo), dans le parc de Monfragüe, toujours en Espagne... C'était une insatisfaction permanente... Alors, j'ai confié ma quête à la pure intuition... J'ai visité le village d'Urueña, non loin des plaines de Villafafila, entre Valladolid et Zamora... Un tertre, une mesa, avec dessus des remparts du moyen-âge, austères et courbes, qui épousent le relief et cachent la cité à ceux qui regardent d'en-bas... Un prolongement évident du "monde" dont je parlais...

Dernier lacet avant le village... Mon regard se porte sur l'espace végétal lové dans la boucle de la route... J'y vois des tiges hautes et sèches émergeant d'un couvert sol d'herbe rase et de cailloux... J'y vois quelques buissons... J'y vois deux ou trois arbres... Et je me dis : "ce doit être là" !... Comme si un sorcier indien m'avait dit "contente-toi d'avancer, tu reconnaîtras l'endroit quand tu arriveras"... Alors, j'arrête la voiture et je descends... 

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La fauvette est là... Elle se montre immédiatement... Je le savais sans y croire... Deux heures sur place... A chercher les meilleurs angles... A essayer de comprendre ses habitudes... A tourner autour du soleil pour que la photo soit meilleure... A ramper dans les cailloux, dans l'herbe odorante... Un bain de jouvence doit être râpeux !...

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Pas très farouche, au bout du compte... Pas besoin de trop se cacher, à condition de se tenir tranquille...

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Cette espèce est franchement méditerranéenne... Espagne, extrême sud de la France, sud de l'Italie...

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Rien d'exceptionnel en fait... Certains diront : "ce mec parle de la fauvette à lunettes comme s'il avait trouvé le Graal ? Qu'est-ce que ça signifie ?"... Eh bien, ça signifie seulement que je n'y arrivais pas... Que je suis content et que je le dis... Voila !...

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