Maroc du sud (12 au 19 septembre 2013)
Ce n’est pas un voyage ornithologique… Ce sont seulement des vacances avec ma femme… Nous avons tenté de découvrir un coin du Maroc… Pas d’hôtels club, pas de piscines, pas de plages blanches, pas de boîtes de nuit… Nous avons cherché à apprendre, à observer et à rencontrer des gens… De toute façon et généralement, seules les campagnes m’attirent… Et la nature… Nous avons fait pourtant quelques tours en ville…
Et puis, j’ai vu des oiseaux… Sans les chercher… C'eût été trahir la confiance de ma bien-aimée… Et abuser de sa patience !…
12 septembre
Atterrissage en soirée à Agadir… Location de la voiture… Direction Aït Melloul, au sud d’Agadir… Une ville populaire, sans intérêt, sale… Des constructions cubiques en parpaings gris, tout juste sorties de terre… L’hôtel, en périphérie, est sans cachet, juste bon marché… Les draps et les oreillers sont sales, les serviettes sont sales… C’est déjà beau qu’il y en ait !… Le personnel est amorphe… Ou absent…
Au moins, il fait bon et il ne pleut pas… En France, les draps étaient propres mais le ciel était pourri !...
On part acheter quelque chose à manger… Des terrasses de café remplies d’hommes et seulement d’hommes… Il regardent passer les femmes du coin de l’œil, de l’autre côté d’un mur invisible… La mienne détonne et attire tous les regards… Elle se sent mal à l’aise… Pourtant, aucune agressivité, juste des mecs qui voient passer un OVNI… Il faut dire qu’on est les seuls touristes, lesquels touristes n'auraient d’ailleurs rien à faire ici… On trouve une pâtisserie et on prend deux gâteaux chacun… Ca suffira…
Je m’attendais à voir des femmes non voilées… Pour le moment, zéro pointé…
On mange nos gâteaux dans la chambre et on va s’asseoir un peu dehors, sous les orangers… Pas politiquement correct : je fume et j’aime ça !…Les arbres exhalent une odeur à la fois puissante et subtile, proche de celle du pain d’épice… Des mecs boivent du thé et fument, attablés près de nous… Où sont les femmes ?… J’ai l’impression d’être le seul à en avoir une et je l’emmène au lit !…
13 septembre
Petit déjeuner sous un hangar, avec pour seule compagnie un baby-foot et un billard déglingués… Pas dérangeants… Rien d’extraordinaire dans les assiettes et les bols… Très « européen »…
Le temps est couvert… Brouillard… Apparemment, c’est comme ça tout l’été dans la baie d’Agadir… Entrées atlantiques dans la plaine triangulaire, enclavée entre le Haut Atlas au nord et l’Anti-Atlas au sud… Les deux chaînes de montagne se rejoignent à l’est pour fermer la porte…
Deux nouvelles espèces d’oiseaux pour moi, dans le jardin de l’hôtel… Des Bulbuls des Jardins, chanteurs bruyants, remuants et confiants… Plutôt ternes…
Bulbul des Jardins
Et deux Bruants du Sahara qui viennent un instant picorer sur le carrelage à quelque mètres de nous…
Une nouvelle sous-espèce : la Pie Bavarde "mauritanicus"… En tout point semblable à la nôtre, hormis une tâche bleu vif à l’arrière de l’œil, due à l’absence de plumage à cet endroit et à la couleur de la peau nue… Tout au long du voyage, je verrai beaucoup de ces oiseaux, principalement le long des routes, peut-être moins nombreux dans le sud…
Il y aussi des Tourterelles Turques et des Tourterelles Maillées que j’ai déjà vues en Turquie, bien moins nombreuses que les premières… Des Etourneaux Unicolores, des Moineaux Domestiques, des Fauvettes Mélanocéphales et beaucoup de Merles Noirs… Aussi des Gobemouches Noirs en plumage internuptial terne, en pleine halte migratoire vers le sud…
Nous partons acheter de l’eau dans une épicerie… De jour, la ville est pire que la nuit… Du monde partout… De vieilles voitures, modèles oubliés depuis longtemps en France… Des piétons, des cyclomoteurs, des vélos, des carrioles tirées par des ânes ou de petits chevaux… Un véritable grouillement humain… Trop de monde… Décidément, que ce soit au Maroc ou ailleurs, je déteste les villes… Et celle-là est particulièrement moche… Et puis, toujours ce mur entre les hommes et les femmes qui semblent se croiser sans se voir… Même un frôlement semble impossible… Comme s’ils évoluaient simultanément dans deux espaces-temps strictement identiques et superposés… De larges avenues, avec des blocs de parpaings de 4 ou 5 étages, jamais terminés… Plus loin, les constructions s’espacent, la foule devient moins dense… On s'extirpe finalement de l'urbanisme… Premier véritable contact avec le Maroc !…
Des étendues plates, avec de rares arbustes, des broussailles et de la caillasse… Les bords de route sont jonchés d’ordure… Un chancre bleu : bouteilles et sacs en plastique… Il y a bien au moins deux kilomètres de ces saletés à l’entrée et à la sortie de chaque ville… Le plastique submerge la misère… Des Pies Bavardes locales, peu farouches, cherchent leur pitance au milieu de ces ordures…
Pie Bavarde ssp. mauritanicus
On roule vers le sud… On traverse Sidi Bibi, un bled comme celui qu’on vient de quitter, juste plus petit… Des gens partout… Des chargements invraisemblables sur les véhicules… Des familles entières sur des scooters… Un petit camion avec une pile de meubles et de bric à brac, le tout culminant à environ quatre mètres du sol … Et perchés tout en haut, un mec avec un bélier sur les genoux !… Sur le bas-côté, un panneau « ceinture de sécurité obligatoire » !… Les ânes le long des trottoirs et les vélos qui zigzaguent dans le capharnaüm… Le souk !… Plus loin, quand on quitte les lieux habités, tout devient plus simple et les survivants roulent tranquillement, plutôt disciplinés…
Quelques kilomètres encore et on bifurque vers l’ouest, vers l’océan… Le ciel est toujours aussi bas… Des étendues pierreuses… Quelques arbustes… Et les détritus… Le long de la route, certaines parcelles sont entièrement ceintes de murs monumentaux, avec deux tours au portail… C’est plutôt moche et pour peu que la route surplombe l'édifice, on voit qu’il n’y a rien derrière !… C’est comme ça partout, avec une densité plus grande à la sortie des villages… Quelques oiseaux : très nombreux Cochevis de Thékla, Traquets Oreillards, Hirondelles Rustiques en vol… Pies-Grièches Grises (race algeriensis) sur les fils, assez communes… Bulbul des Jardins, bien sûr… Des troupeaux de moutons, certains très importants, avec leurs bergers et leurs ânes… Des bandes de chiens errants, faméliques et inquiétants…
En approchant de la mer les déchets se font plus rares… Et pour cause, je les découvre amassés sur les plages aux pied des petites falaises… Une véritable décharge !… Marée basse… Dans les flaques, nombreux Goélands Leucophées, deux Bécasseaux Sanderling et un Courlis Cendré…
Les falaises sont effondrées dans la mer au bout de la route et c’est là qu’est recroquevillé le petit village de pêcheur de Tifnit… Il semble inhabité et fait face à un poste de Police installé de l’autre côté de la baie, sur une hauteur, face à l’océan…
Tout semble abandonné, mais pourtant les barques bleues sont là, sur la terre ferme… Devant un hangar, un tracteur et son conducteur attendent le retour des pêcheurs… Nous croisons quelques hommes, seuls ou par deux… Ils semblent tristes… Ni amicaux ni hostiles… Le sourire spontané, je le découvrirai, est une denrée rare au Maroc chez les hommes adultes… L’austérité est de mise… On fait un tour et, loin sur les collines adossées à la côte, on voit quelques antilopes addax, de l’autre côté d’un grillage… Programme national de réintroduction… Il y aussi des gazelles et des autruches, mais nous ne les verrons pas… Tout ça pourrait être beau et accueillant… Mais c’est triste, couvert et lugubre… On ne fait pas de vieux os…
Direction Agadir… Juste avant Sidi Bibi, on s’arrête sous une grande tente et on boit un thé à la menthe… Une télévision grand écran casse un peu l’ambiance… Elle diffuse une série marocaine où des bellâtres en costumes et des avocates en cheveux se perdent et se retrouvent, dans le monde compliqué des affaires et de l’amour… Je me demande ce que les gens – tous les gens ! – que je vois autour de moi peuvent penser des ces héros « marocains » dont je ne verrai pas in situ un seul exemplaire pendant tout le voyage… Quel gouffre temporel entre les deux !… Un peu comme si Bernadette Soubirous se tapait la dernière saison de « Secret story » en gardant ses moutons !…
On repart vers le nord... Nouvelle traversée d'Aït-Melloul… Puis l’oued Souss… Faubourgs d’Agadir… C’est moche comme tout ce qu’on a vu d’urbain pour le moment… Des quartiers avec de grandes avenues et des immeubles cubiques… Un golf vers la mer… Je pense que le jour où les sports violents me seront devenus inaccessibles, je jouerai au golf… J’aime bien le cadre et le jeu… Mais franchement, je me vois mal venir jouer ici… La misère et l'eau si rare de l’autre côté du mur me plongeraient forcément dans les affres de l’indécence… On continue : avenues, feux rouges, ronds-points… La foule et le cortège hétéroclite des véhicules improbables… On cherche la « nouvelle médina », dans le quartier de Ben Sergao… Pas d’indication, quelques explications données par des flics ou des passants, qui ne nous sont d’aucun secours… Plusieurs tours dans des sortes de ZUP et basta !… On va voir ailleurs… On se gare dans le quartier de Talborjt, centre « touristique » de la ville… Une grande mosquée et une enfilade de rue sans caractères… Pas mal d’Européens… Un peu moins de femmes voilées… Mais le mur invisible est encore là, je le sens… Aucun intérêt…
On décide d’aller à l’ancienne Kasbah, monumentale bâtisse en ruines qui domine la baie… Je ne veux même pas approcher de la mer pour voir les plages à touristes et les hôtels club…
Agadir a été détruite en 1960 par un tremblement de terre… 13 000 morts, 2 000 dans la Kasbah et 11 000 dans la ville basse…
La route en lacets, au milieu d’une végétation rare, qui monte à la Kasbah me réconcilie un peu avec la vie… Une enceinte de grands murs, avec des tours… Des ruines au milieu… Un parking… Promenades à dromadaires, vente d’objets « artisanaux »… Pénible…
Au pied de la colline, les décombres de la ville basse… Et puis, plus loin au sud, les nouvelles constructions où nous tentions tout à l'heure de nous frayer un chemin… La baie est diaphane dans les brumes…
Agadir, depuis les hauteurs de l'ancienne Kasbah
Un type à l’entrée – j’ai oublié son prénom – se met spontanément à nous faire l’historique de la ville, à nous raconter des anecdotes et nous accompagne comme s’il nous guidait… On ne lui a rien demandé ni promis... J’ai compris son manège, mais il ce qu'il dit est intéressant… En tout cas, il est stupéfait d’apprendre que nous logeons à Aït Melloul et que cette ville abrite un hôtel... Il nous explique que c’est un coin "populaire" où les touristes n’ont rien à faire… Merci, on a vu !… Il nous apprend pas mal de choses sur le tremblement de terre, nous montre la faille principale et commente les vestiges… Il nous explique le port de pêche et le port industriel… Il connaît son affaire… Toute peine mérite salaire !…
On n’en peut plus de cette ville… Le soir, on repart au sud de Sidi Bibi pour manger un tajine sous la toile de tente de l’après-midi… La télé continue à déverser d’insolites versions marocaines de « Plus belle la vie » ou des « feux de l’amour »…
Première journée décevante du point de vue « touristique », mais enrichissante… Je ne m’attendais pas à une telle misère… Quant à Pascale, elle croyait la société marocaine bien plus ouverte et la mixité sexuelle plus avancée… Elle envisageait un équilibre à peu près stable entre femmes voilées et vêtues « à l’européenne »… Elle est loin du compte… Je sens qu’elle a peur de déranger ou de choquer…
14 septembre
Petit déjeuner et direction sud… Tout de suite et sans regrets… Je suis heureux d’avoir appris ce que j’ai appris hier, mais je veux aussi de belles images… Et des rencontres…
On achète une bouteille d’eau dans une boutique et on file plein sud… Cette matinée est pour moi, avec la visite du parc national de Souss-Massa… J’ai « droit » à l’ornithologie à plein temps !… Le parc est une bande côtière, traversée perpendiculairement au nord par l’oued Souss et au sud par l’oued Massa… On arrive finalement au village de Sidi Binzarne, sur la rive droite de l’oued Massa, tout près de l'embouchure…
Entrée du parc… Plusieurs mecs sont là, avec des vélomoteurs… Ils exhibent des cartes de guide – très brièvement -… L’un d’eux s’appelle Lahcen et vient vers nous... Là, je me fais avoir… Ce sera la dernière fois… Il promet des ibis chauves et des sarcelles marbrées… Je dis « sarcelles marbrées »… Il va nous faire beaucoup marcher et je vais lui montrer pas mal d’oiseaux !… Il sera plus fort la prochaine fois !... Une consolation : c’est lui qui m’a indiqué le chant des Tchagras à Tête Noire que je n’aurais pas identifié seul… Mais c’est maigre…
Des collines pelées, désertiques sur les hauteurs et un écrin de verdure dans le fond de la vallée où coule l’oued… Aussi près de l’océan, il y a encore de l’eau dans le lit du cours d'eau…
Les habitations sont installées au-dessus de la cote maximale de l’oued… Entre les construtions et la rivière, des champs où travaillent des hommes et des femmes – pas ensemble –, courbés vers le sol…
Dans les villages, c’est l’heure de l’école et il y a des gamins partout… Des nuées…
On part sur la rive droite du fleuve, entre les tamaris et les zones herbeuses… Des îlots et des flaques… Pas de sarcelles marbrés !… Bref compte-rendu ornitho : très nombreux Gobemouches Noirs, mais aussi Gris en halte migratoire, Tchagras à Tête Noirs entendus (un sifflement descendant dans une tonalité proche de celle de la grive draine) mais difficiles à voir (un seul qui se tenait bien en vue à quatre mètres de moi et que je n’ai pas eu le temps de photographier), un couple de Rougequeues de Moussier dans des arbustes (mauvaise lumière), deux jeunes Flamants Roses, des Chevaliers Gambettes et Aboyeurs, nombreux Hérons Cendrés, quelques Aigrettes Garzettes, un groupe d'une cinquantaine d'Ibis Falcinelles, une petite dizaine de Spatules Blanches, quelques Canards Colverts et Sarcelles d’été, des Combattants Variés, des Gallinules Poules-d’eau, des Foulques Macroules… Aussi des Cochevis de Thékla comme partout ailleurs, des Fauvettes Mélanocéphales… Au-dessus des prés, chasses d’Hirondelles Rustiques et Rousselines...
Gobemouche Noir internuptial
Ibis Falcinelles
Spatules Blanches
Cochevis de Thékla
Je lève les yeux vers les plateaux dénudés qui dominent l’oued et j’ai la chance de voir deux rapaces : un Faucon Pèlerin et un Aigle de Bonelli juvénile… Celui-ci, c’est mon premier !… C’était mon oiseau maudit, je l'avais cherché en France et en Espagne sans résultat…
Aigle de Bonelli juvénile
La journée n’aura pas été vaine : j'aurai montré à mon « guide » le tchagra à tête noire et l’aigle de Bonelli !… Il nous amène en amont, dans un autre secteur, toujours à la recherche des sarcelles marbrées… Nada !… L’occasion d’admirer une jolie Kasbah sur les hauteurs…
J’en vois une qui commence à en avoir marre de se faufiler entre les roseaux et les tamaris… Trois heures que ça dure… Et je ne veux pas risquer l'incident diplomatique... Je mets un terme au contrat de mon « expert »… Il a l’air vexé et me le signifie par le montant de ses honoraires !…
On part vers le sud… L’ornithologie pure et dure, c'est fini… Je regrette seulement de ne pas avoir exploré seul le secteur, je pense que j’aurais été meilleur qu'avec Lahcen qui a bien dû me faire rater quelques oiseaux !… Les vastes plaines où on roule sont de plus en plus arides et sèches… Traversée de petites villes et de villages… Surpeuplés…
Et puis, d'un seul coup, la route s’élève et on grimpe dans l’Anti-Atlas… Comme au pied d'un mur… On part de très bas et on monte à plus de 1 000 mètres… La route est vertigineuse et étroite… Le paysage magnifique annonce déjà le désert…
Des buissons des cactus, des broussailles, des arbres rares et de la caillasse…
La variété des perspectives est inépuisable… C'est la Nationale 1, la route qui va à Dakar, en traversant la partie occidentale de la Mauritanie… Nombreux camions poussifs qui nous contraignent à leur allure d’escargot… Au moins un avantage avec cette lenteur : on s'en met plein les yeux… On arrive sur un plateau, avec des zones plus vertes et la ville de Lakhsas, aussi grouillante que les autres… Pas vraiment le loisir de faire des recherches faunistiques, il faut garder l’œil sur les virages… Des Ecureuils de Barbarie au comportement de marmottes…
Ecureuil de Barbarie
Un lézard énorme traverse la route devant la voiture et saute littéralement sur un rocher de l’autre côté du fossé… Il marche dressé haut sur ses pattes, comme un varan ou un iguane… C'est peut-être un Fouette-Queue, je ne le saurai jamais, mais je ne vois pas d'autre hypothèse…
Toujours la file de camions qui roulent vers le sud, mais on redescend et des paysages vraiment désertiques s’étendent désormais devant nous dans la vallée… Contrôle de gendarmerie à Bouizakarne… Des flics plutôt sympas… Tout va bien… Maintenant, la Police et la gendarmerie seront omniprésentes… Proximité de la frontière mauritanienne et de l’ex Sahara Occidental, toujours objet d’un conflit avec l’Algérie… Nombreuses casernes…
On traverse Guelmim, une ville pareille aux autres… Avec sa foule et son désordre… Ses ordures périurbaines… Un peu plus de 100 000 habitants… Aucun intérêt !… On continue vers l’ouest… Environ
Nous arrivons enfin à Tighmert, oasis à une trentaine de kilomètres à l’est de Guelmim… C’est d’abord dans le lointain une traînée verte au milieu de l’immensité jaunâtre… Et puis, en approchant, on voit que ce sont des palmiers étirés parallèlement à la route, comme s’ils suivaient une rivière…
Les premières constructions apparaissent, à l’entrée du village, vraiment moches… On passe sous le couvert des arbres… Je serpente avec la voiture dans des ruelles terreuses, entre les murs de pisé, dans un véritable dédale…
Et l’arrivée au paradis !… Une porte bariolée, en bois épais, et l’entrée dans une enceinte de murs en pisé ocre rouge…
Des plantes, des palmiers, des grenadiers couverts de fruits… Des patios, des chambres, un salon extérieur, tout un imbroglio de petites constructions rattachées les unes aux autres…
Brahim, le patron, nous reçoit… Il est vêtu d’une gandoura bleue, c’est un nomade… Installation et puis un tour dans l’oasis… J’ai l’impression d’être dans une bulle…
Silence, murs et allées rougeâtres, dattiers interminables sur fond de ciel bleu… Pas difficile de se perdre… L’irrigation a imposé ce chaos harmonieux… Partout coulent de petits canaux… Je suis déjà amoureux …
Nous revenons et mangeons à l’extérieur… Un tajine et des fruits…
Brahim nous présente son équipe : Abdel (Abderhamane, en fait) qui connaît le désert et sourit tout le temps, Mustapha le cuistot qui ne parle pas français et Salam qui ne fait pas partie à proprement partie du staff, mais qui est le grand organisateur du musée qu’il a installé dans l’ancienne Kasbah et rempli d'objets récupérés un peu partout et auprès des nomades… Nous verrons ça demain…
Les femmes sont discrètes comme de petites souris… On les voit à peine, parfois on les entend seulement… Quand on les croise, elles sourient pourtant, presque gênées d’être là…
Plus tard, la nuit étoilée du Sahara et le sommeil paisible…
15 septembre
Aussi euphorique au réveil que quand je me suis couché hier soir… Je regrette juste de n’avoir réservé que deux nuits ici… J’aurais voulu passer toutes les nuits ici… Peut-être pourrais-je y passer ma vie…
Petit déjeuner sur la terrasse, au-dessus du patio… Bruants du Sahara partout et, bien sûr, Bulbuls des Jardins… Le ciel est bleu… Chants d’oiseaux de tous les côtés… Pain marocain, huile d’argan, huile d’olive et confiture de tomate… C’est bon…
Bruant du Sahara
Un tour tous les deux dans la palmeraie…
Escalade des talus, égarement…
On repère un palmier qui nous servira de phare et on le vise, mais ils sont tous pareils… Heureusement, le soleil ne bouge pas trop vite et il me permet de retrouver la maison, même si on y arrive à ma grande surprise par le côté opposé à celui d’où on était partis…
J’ai vu ici de très nombreux Gobemouches Noirs et quelques Gobemouches Gris… L’oasis doit être une étape sur la route de l’Afrique transsaharienne, un véritable pôle de convergence… Il y a aussi des Moineaux Domestiques, des Tourterelles Turques et Maillées, des Fauvettes Mélanocéphales… Au retour à la maison, j’observe une Fauvette des Jardins dans la végétation : halte migratoire…
Thé à la menthe pour nous… Brahim m’explique qu’ici on le boit sans menthe, avec des herbes du désert…
Ce que fait Brahim à Tighmert est formidable… Il n’y a rien ici, ni personne, qui cherche à avancer… Et lui, il a fait sortir cette maison d’hôtes de terre, ou plutôt il l’a réhabilitée…
Avec candeur et efficacité, il a fédéré les bonnes volontés… Autour de chez lui, pas un sac en plastique, pas une bouteille vide… Il se lance dans son entreprise en souriant, dans un monde où l'immobilisme est la règle… Brahim fait des projets… Il s’intéresse à tout : aux oiseaux, à l’environnement, aux pays étrangers et surtout à ses racines nomades… Il est sahraoui… Tout ce qu’il fait, il le fait avec la volonté de perpétuer sa culture, comme il le peut, dans un monde qui ne s’y prête plus… Il est formidablement ouvert… J’admire la force et le courage qu’il lui a fallu pour se lancer, pour imaginer sa "maison", alors qu’autour tous semblent laisser les choses en place, sans autre espoir que, peut-être, celui d’un nouveau téléphone mobile… Quelques hommes comme lui font plus pour l’humanité que la plupart des grands décideurs… C’est concret, simple et direct… Nous parlons ensemble, longuement… Il me montre un cahier sur lequel il a répertorié toutes les espèces d’oiseaux qu’il a vues et les endroits où elles se trouvaient… Mais il est occupé, c’est un homme d’affaires… De bien belles affaires !…
Abdel (Abderhamane) nous rejoint… C’est lui qui va nous accompagner dans le désert… Non pas qu’on s’y perdrait, puisqu'il y a des montagnes et que les montagnes ne changent pas de place, mais parce qu’il connaît des endroits précieux qu’on ne trouverait pas tous seuls… Nous passons toute la journée avec lui et c’est un compagnon merveilleux… Il est curieux, souriant, gentil et plein d’humour… Lui aussi est nomade… Il nous parle de ses expériences… Des caravanes (maintenant de 4x4) qui roulent la nuit pour atteindre la Mauritanie et faire de la contrebande… Il nous montre une photo de lui lors de la dernière fantasia où il avait chevauché un dromadaire, lors d’une course effrénée et sans vainqueur où chaque participant brandit son fusil en lançant sa monture au galop… Humblement, il nous désigne sur le cliché les cavaliers expérimentés qui tiennent leur mousquet bien haut au-dessus de leur tête, précisant que lui, il n’est encore capable de l’élever qu’au niveau de son épaule… Question d’équilibre…
Il aime sa culture… Il aime ses coutumes et sa religion… Mais il aime aussi l’Europe et tout ce qu’il ne connaît pas… Il me dit qu’il n’est pas allé à l’école et pourtant il porte en lui une aptitude innée à la connaissance de la vie et du monde… Tout simplement parce qu’il a soif d’apprendre et qu’il n’a pas de préjugés… Il est aussi à l’aise avec Pascale qu’avec moi et ça fait du bien !…
Nous partons vers le sud par des pistes tantôt caillouteuses tantôt terreuses… Il n'y a plus personne… Tout est plat… Je cherche les oiseaux aussi… A la sortie de l’oasis, sur un mur de pierres sèches, un Traquet à Tête Blanche… Mon premier…
Traquet à Tête Blanche
On roule et, selon notre direction, les montagnes changent de place, au loin sur l'horizon…
Pas de végétation ou si peu… Je l’ai déjà dit ailleurs, mais j’aime ces milieux minéraux… Quelques tertres avec des broussailles… Très nombreux Cochevis de Thékla et Traquets à Tête Grise (deuxième nouvelle espèce de la journée pour moi)…
Traquet à Tête grise
Direction sud… Nous arrêtons la voiture au bord d'un petit canyon... De toute façon impossible d’aller plus loin… Abdel nous dit de descendre et nous fait découvrir en contrebas la source qui alimente Tighmert… Blottie au fond de la cavité, une minuscule oasis... Et l’eau qui sort littéralement de la roche… C’est beau et tellement improbable au milieu de cette immensité âpre et aride…
Sans carte, nous n’aurions jamais trouvé cet endroit… Et pour ce qui est des cartes, je n'en ai pas vraiment trouvé… Abdel et Pascale s’assoient à l’ombre, sous un rocher en surplomb… Il fait très chaud, mais j’aime ça et je traîne en plein soleil, en explorant et en prenant des photos… On reste un moment… Je monte sur une hauteur pour ne plus les voir, j’allume une cigarette… La source a disparu derrière le relief et je suis seul !… Je respire…
Nous repartons sur des pistes incertaines, voire sur pas de piste du tout…
Nous croisons un troupeau de dromadaires, avec son « berger » accompagné d’un petit âne…
Abdel échange quelques mots avec lui dans le dialecte des nomades… Il nous dit que l’homme va chercher de l’eau pour laver ses bêtes… De l’eau ?… Et puis il nous conduit jusqu’à une source chaude, une fontaine de seulement quelques mètres de circonférence…
Ca sent le souffre… 45°C… Je trempe mes pieds… Il y avait autrefois un filet d’eau brûlante qui sortait à cet endroit… Une structure métallique laisse maintenant échapper un jet puissant… Abdel me dit qu'on a cherché en vain du pétrole et qu'à la place, on a seulement augmenté le débit de l’écoulement naturel… En tout cas, c’est son explication… Quelques buissons où je cherche les petits oiseaux… J’en trouve un et je m’entête, certain de découvrir une nouvelle espèce… Mais ce n’est qu’un Pouillot Fitis en migration rampante vers le sud… Plus loin, Abdel nous indique une étendue de pierre tranchants et noires, répandues sur le sol, exactement nulle part... Il nous explique que c'est un cimetière nomade...
Nous remontons maintenant vers le nord, jusqu’à la route, et filons vers Fask, au fond de la plaine à l’est… Nous dépassons la petite ville où les gens sont moins nombreux qu’ailleurs, mais tout aussi pauvres… Un programme marocain travaille au maintien de la population dans les régions désertiques et je me dis que ce relatif « calme » est probablement la conséquence de l'exode combattu… Juste au pied des montagnes, Abdel nous indique une piste – qu’il est seul à voir – et nous arrivons au bord d’une gorge… L’eau coule depuis le sommet et s'organise en piscines naturelles, cascadant doucement dans la pente… Nous nous asseyons sur le haut de l’escarpement, tranquilles et silencieux…
Deux hommes arrivent à bord d'une Mercedes… Le conducteur enflamme un buisson de cactus et maintient un foyer régulier pendant que le passager se place face au vent, dans la fumée noire… Je suis intrigué… Abdel leur demande ce qu’ils font et ils expliquent qu’il s’agit d’un traitement contre l’asthme : une heure par jour pendant un mois, puis une cure de miel sauvage de cactus… Je sais maintenant que le meilleur traitement pour l'asthme, c'est l'asphyxie !...
En repartant, Abdel nous montre une colline avec un motif géométrique, en étoile, sur son flanc... Un jour, un homme a voulu cultiver ici des figuiers de Barbarie et ça n'a pas vraiment marché... Il ne reste plus que le mur qui ceignait la parcelle...
Il est déjà tard et à 18h00, nous avons rendez-vous avec Salam pour la visite de son musée… Retour à la base… Nous arrivons et trouvons Brahim attablé sous la pergola avec deux hommes, dont un Européen… Il nous invite à s'asseoir avec eux… L’Européen est un architecte espagnol qui accompagne des stagiaires marocains, pour les initier aux techniques de l’irrigation… Un autre est le maçon qui doit aménager deux nouvelles chambres dans la maison… Ils opposent leurs méthodes et Brahim arbitre… Il semble faire confiance à l’Espagnol et tente de convaincre le maçon… Celui-ci ne parle pas un mot de français et la conversation est chaotique… L’architecte, après le débat, nous parle de l’eau et de son attraction naturelle, atavique, sur les hommes… Il nous donne de précieuses informations sur l’irrigation des palmeraies et sur les lâchers continuels et mesurés répartissant le liquide précieux entre les différentes parcelles… Pour que tout le monde en profite, ça ne doit jamais s'arrêter… A tour de rôle, les agriculteurs arrosent leurs parcelles, y compris la nuit… Voilà pourquoi les oasis sont animées ving-quatre heures sur vingt-quatre… L'Espagnol nous fait mesurer ce que le mot « confiance » signifie ici : d’amont en aval, tout le monde doit jouer le jeu…
Le maçon est à pied et nous devons retirer de l’argent à Guelmim… Brahim nous demande si nous pouvons le ramener… Bien sûr… A la sortie du village, nous tombons sur un auto-stoppeur que je prends également… Aussitôt dans la voiture, il commence à nous dire qu’il connaît des endroits pour les oiseaux, des endroits où il y en a "des verts, des rouges et des oranges"… Il dit aussi que son cousin vend de merveilleux tapis, pas chers… Pénible… Je dépose les deux hommes à Guelmim… La ville ne me plaît pas après la quiétude de l’oasis…
Retour à Tighmert où je retrouve mon passager là où je l’avais pris, à l’entrée du village… J’apprendrai plus tard qu’il venait de faire le même coup dans l’autre sens, avec deux Suisses qui viennent d’arriver dans la maison d’hôtes… Des gens comme Brahim ou Abdel ont compris que cette agressivité envers les touristes était néfaste, qu’elle cassait l’harmonie et donnait une mauvaise image des Marocains… Abdel n’a rien demandé pour toute la journée passée avec nous, il n’a pas menti, il n’a pas fait de courbettes ou de sourires forcés… Quand je lui ai demandé son prix, il m’a dit « ce que tu veux »… Et ça change tout…
C’est lui qui nous conduit au musée… Il file dans les sentiers ombragés de l’oasis et on voit qu’il est sur son territoire, qu’il en est l’émanation…
Salam nous attend, lui aussi vêtu d'une gandoura bleue, comme la veille… Il nous introduit dans son palais, une ancienne Kasbah, et nous fait découvrir sa culture à travers les objets exposés dans les pièces ou suspendus au mur…
C’est franchement passionnant… Toute la vie des hommes du désert, fondamentalement différente de la nôtre, passe dans ses explications : la valeur de l’eau, la valeur de tout…
La visite terminée, nous prenons un thé sous une tente avec un ami de notre hôte et discutons longuement…
Salam est un philosophe… Dilettante et plein de bon sens… Il a réfléchi à tout… Son islam est tranquille, au jour le jour, sans rancœur… Il semble avoir délibérément chassé la colère de son cœur… Il parle de la tradition, des nomades, des Européens, de la vie moderne… Il ne rejette rien… Ne refuse rien… C’est comme ça, c’est tout… Inch'Allah...
Retour à l’oasis et tajine de dromadaire… Brahim en avait parlé la veille en plaisantant et je l’avais pris aux mots… C’est bon… La nuit est tiède… Brahim nous rejoint, avant d’appeler les Suisses à notre table… Il veut que les gens s’entendent et échangent… C’est son moteur… La conversation est inconsistante et douce… Impossible de dire de quoi nous avons parlé…
16 septembre
Le départ… Ce n’est pas mon style, mais je pleurerais presque de tristesse et de rage en quittant cet endroit… Abdel est venu nous dire au revoir… Echange d'adresses mail avec Brahim… Embrassades… Du pathos !…
On fait un aller retour jusqu’à Fask, en voiture…
Ma façon de dire au revoir au désert et une dernière chance de voir des oiseaux du coin… Bonne inspiration... Je découvre une Ammomane Elégante, alouette du désert que je n’avais jusqu’alors jamais observée… Il fallait avoir l’œil, elle était assez loin, couleur sable sur fond sable…
Ammomane Elégante
Nous quittons maintenant Tighmert pour de bon…
Dans les terres irriguées à la sortie de l’oasis, quelques observations furtives : un Traquet Motteux en halte migratoire, une Pie-Grièche à Tête Rousse juvénile, une Piege-Grièche Grise et de nombreux Moineaux Espagnols…
Plus de
Encore une Pie-Grièche Grise… Ici, loin des côtes, c'est la race elegans...
Pie-Grièche Grise ssp. elegans
Montée dans l’Anti-Atlas, par la même route qu’à l’aller… Arrêt sur le plateau, dans une station-service… Il y a un boucher et un boulanger qui ont leur échoppe à côté des pompes… Je commande du chevreau grillé, comme ça, juste avec du pain… C’est bon… Ensuite, un thé à la menthe… Tous les mecs regardent ma femme du coin de l’œil… Je ne peux pas leur en vouloir, mais au nom de quoi peut-on institutionnaliser une telle frustration ?…
On repart et on roule, longtemps, pas grand chose à raconter… On est déjà passés par là… Nationale 1… On frôle Agadir et on pique vers l’est, direction Taroudannt… L'agriculture a repris ses droits… Et le pullulement humain aussi… De gros bourgs tous les trois ou quatre kilomètres, avec leurs flots de gosses, de vélos, de taxis collectifs et de charrettes… Je suis un peu inquiet car la campagne est très banale… N’aurions-nous pas dû rester à Tighmert pour les trois nuits à venir ?…
J’arrive à Oulad Brahim, un bourg rural, sans cachet… Pour trouver le gîte, il faut quitter la route et zigzaguer entre les constructions de parpaings… C’est moche… Déjà un moment qu'on a retrouvé les plastiques et les bouteilles vides, il y en a partout… Et puis, un parking et l’entrée monumentale d’une grande maison… C’est là… "La Tour de Toile"…
Et c’est encore un choc… Simplement superbe !… La maison principale et la salle de restaurant, une cour avec 7 bungalows… Tout est en pisé… Traditionnel… Décoré à la marocaine… C’est propre, coloré et beau…
Derrière les murs d’enceinte, je me sens déjà bien… On est crevés et on s'installe sur des transats en bois… On explore le jardin et ça suffira pour ce soir !…
Après le repas, on discute avec Abdel, le patron… En réalité, c’est Abdelwahab, mais Abdel est plus court… On parle de tout… Encore un type précieux qui fait des choses énormes dans un monde où tout paraît figé… Je me sens minable devant son courage et sa volonté… C'est un vrai philantrope… Il veut aider les gens et améliorer le monde… Son gîte est plus « moderne » que celui de Brahim, mais l’esprit est le même… Il parle des ramassages d’ordures qu’il a organisés avec les enfants du village… Le but de tout ça est de donner mauvaise conscience aux parents… Abdel est aussi guide de montagne et organisateur de sorties dans le désert… Il aime son pays mais ne rejette rien de l’extérieur, tout comme les gens de
De cet homme, sans aucun doute et quand bien même je ne l’ai côtoyé que trois jours, je peux dire qu’il est bon… Il veut le bien des autres… Je reparlerai de lui…
17 septembre
Nous avons remarquablement bien dormi… Le petit déjeuner est copieux… En plus du pain et de la confiture, la sœur d’Abdel nous a préparé des petites crêpes épaisses et délicieuses… Nous sommes dehors et nous prenons notre temps… Ensuite, la douche et la découverte pour moi du savon noir « Beldi », une spécialité à l’huile d’olive, qui donne une formidable sensation de fraîcheur…
Nous partons vers le Haut-Atlas, plus précisément le col de Tizi n’Test, tout en haut de l’ancienne route de Marrakech… En arabe, tizi veut dire col…
Nous dépassons Taroudannt dont les rues sont invisibles derrière les remparts bas et ocres, ponctués de tourelles et de portes, d’où émerge une forêt de paraboles… La campagne n’est pas belle… Traversées de villes avec de larges avenues et toujours la même foule… Soudain les haies disparaissent et les palissades aussi, l’agriculture cède le pas à la nature… Au loin, au bout d’une plaine arborée, on voit les montagnes… Et on approche… Direction nord…
Premiers lacets, au pied de l’Atlas…
Végétation rare et terre oxydée…
Quelques figuiers de Barbarie, des broussailles et des arbustes… Des rochers…
La montagne est rouge et le passage des nuages change continuellement les perspectives…
Nous nous arrêtons souvent pour contempler un point de vue… Je ne vois pratiquement pas d’oiseaux… L’altitude s’élève et nous atteignons des zones boisées : cèdres et pins… Toujours pas d’oiseaux… Des villages, dans leur bande de verdure, s’étalent au fond des vallées étroites…
Des gosses sur des murets plongent leurs yeux vides dans le paysage… Pas d’école pour eux… Des camions montent ou descendent et c’est étroit, tout se joue dans l’anticipation… Nous atteignons un village et nous nous arrêtons pour un thé à la menthe dans une épicerie, puisqu'il n’y a rien d’autre… Le patron est fier de sa terrasse, juste au-dessus de l’échoppe et il me la fait visiter… Comme il va de soi, je m'extasie !...
Il ne parle pas un mot de français… Un camion s’arrête et livre quelques bouteilles d’eau, précieux trésor dans ce milieu aride et escarpé…
La route s’élève encore… Au pied d’un pylône, dans un virage, deux Traquets Rieurs… Un Faucon Crécerelle en vol, un Geai des Chênes qui plonge dans le couvert de la forêt qu’on va bientôt quitter…
Tout redevient minéral et abrupt… Le rouge des reliefs et le ciel bleu, avec des précipices à couper le souffle…
Quelques Linottes Mélodieuses autour d’une cabane en pierre, abandonnée… Ce sera tout…
Nous arrivons au col… Plus de 2 000 mètres… De l’autre côté, des pentes rouges comme de la brique, plus étrange encore que le rouge orangé du versant sud…
Des coulées vertes de végétation, c’est la face nord… Il fait relativement froid ici… Je dis bien relativement… Nous restons un moment…
Le retour est un peu moins exaltant car le soleil est maintenant devant nous et plombe tout l’éclairage… Je reviendrai…
Retour à
Rougequeue de Moussier
Et puis, en levant la tête, je vois passer un Martinet des Maisons, reconnaissable à sa queue tronquée et aux taches blanches sur ses flancs… J’en cherche d’autres, mais il n’en vient pas…
Le soir, repas et discussion avec Abdel… Il me parle d’un voisin, un Français diabétique et cardiaque qu’il a dû transporter cet après-midi à l’hôpital et qu’il conduira dans deux jours à Casablanca où sa famille viendra le récupérer pour le rapatrier… Abdel est altruiste… Nous parlons encore du rôle de l’état et de ce qu’on peut attendre de lui, comparant la France et le Maroc… Ca remet les idées en places… Enfin, Abdel me propose de me conduire, demain matin, dans un endroit tout proche où « il y a des oiseaux »… Il me dit que nous en aurons pour une heure environ… Bingo… De quels oiseaux parle-t-il ?…
18 septembre
Dernier jour… A 7 heures, nous partons dans le noir avec Abdel… Il me conduit dans une zone assez proche du gîte : des cultures et des vergers… Il me montre des parcelles alignées… Chaque famille à la sienne et l’irrigation vient régler le rythme des travaux des unes et des autres… Partage de l’eau si important ici…
J’entends très vite des Tchagras à Tête Noire… Nous les voyons dans des arbres… Ils ne sont pas farouches et pas aussi prompts à se cacher dans le feuillage que le dit la littérature… Je fais des photos au flash, c’est encore l’aube… Merci Abdel…
Tchagra à Tête Noire
Nous continuons à marcher et j’oublie presque les oiseaux… Nous sommes curieux tous les deux et la conversation roule, erratique… Il est encore question d’irrigation, de culture, d’école… Je ne sais plus très bien… Au retour, en traversant le village, je vois deux oiseaux assez ternes et relativement gros… Ce sont deux Cratéropes Fauves… Je ne croyais pas découvrir cette espèce au contact des hommes, au milieu des bâtiments et encore moins ailleurs qu’en secteur désertique ou aride… L’un des oiseaux tient quelques chose dans son bec que je n’arrive pas à identifier, si quelqu’un a une idée, je suis preneur…
Cratérope Fauve
Pascale est réveillée… Petit déjeuner et toujours le même régal… Je m’en mets plein la panse…
Je dois faire un aparté : hormis le jour du chevreau dans la station-service de l’Anti-Atlas, je n’ai mangé qu’au petit déjeuner et le soir, jamais entre ces deux repas… Et je me suis senti très bien… Hélas, ce fut le seul point de tension entre nous durant tout le séjour… Elle m’accusait de « faire ramadan »… Un jour, à Guelmim, je l’ai vue, furieuse, arpenter les rues à la recherche de sandwiches fantasmatiques, en me fusillant du regard, alors qu’on ne vendait que des poulets rôtis… Elle imputait presque sa faim à mon abstinence… C’est une gourmande… De retour au gîte, Brahim lui avait donné du pain, « pour qu’elle tienne le coup »… Je dis souvent à Pascale qu’on mange trop, que la frugalité est excellente… Et elle est tout à fait d'accord avec moi… Théoriquement !…
Nous partons pour la palmeraie de Tioute, au sud-est de Taroudannt… Nous nous rapprochons de l’Anti-Atlas, vers le sud-est, en traversant de vastes étendues semi-désertiques…
Seuls de rares arganiers et des acacias rompent la monotonie… Quelques bergers gardent des chèvres dans ce no man’s land… Nous nous arrêtons un instant pour observer un troupeau, dont les membres paissent tranquillement... dans les arbres !…
Arrivée à Tioute... Une île de verdure, presque au pied de la montagne, au milieu de l’immensité minérale… Et là, ça recommence : un "guide" nous fonce dessus avec son cyclomoteur… Je lui dis que je connais, que je suis déjà venu, mais il me précède dans l’unique rue, en direction de la Kasbah, comme s’il m’indiquait le chemin… Toujours le même manège… Je m’arrête au pied de l’édifice qui surplombe la palmeraie et il cherche à nous vendre une ballade à dos d’âne… Je le rembarre gentiment, il repart vexé en faisant pétarader son engin… Franchement pénible…
Nous montons à pied à la Kasbah, derrière laquelle est adossé un hôtel rutilant, et buvons un thé à la menthe… La palmeraie s’étend à nos pieds, les montagnes à l’horizon…
Un Faucon Crécerelle a élu domicile dans un trou des remparts… Un groupe de touristes est arrivé en bus et déjeune à l’intérieur… Rencontre avec leur guide, Lahcen… Un mec passionnant, un nomade… Au printemps prochain, il a prévu de partir avec trois dromadaires, depuis le sud Maroc et de rallier Paris, après une traversée qui le mènera de Tanger à Sète… Il m’explique sa démarche… L’environnement et la promotion de sa culture… Il ne fait pas semblant… Nous échangeons nos coordonnées...
Ensuite, nous partons dans la palmeraie… Il fait une chaleur écrasante sur les pentes pelées entre la Kasbah et le couvert végétal… Une Pie-Grièche grise se pose dans un arbre, à quelques mètres de moi… Quelle différence de comportement avec les oiseaux français tellement farouches !… Un couple de Fauvettes Passerinettes s’agite dans un arganier…
Entrée dans la palmeraie… Un peu plus de fraîcheur…
Les palmiers sont plus clairsemés qu’à Tighmert et d’autres essences se mêlent à eux… Les parcelles sont plus grandes… L’irrigation est moins rustique…
Je remarque des parcelles de luzerne, d’autres de courgettes et surtout du maïs, ce qui m’étonne un peu eu égard à l'énorme consommation en eau de cette plante… Nous marchons, tranquilles et sans but, dans les allées, longuement…
Nous croisons des femmes qui nous sourient, puis détournent le regard…Je prends des repères à chaque intersection, je fais des marques sur le sol pour ne pas me perdre :
La faune ailée est assez banale : Bulbuls des Jardins bien sûr, Merles Noirs, Etourneaux Unicolores, Moineaux Domestiques, Chardonnerets Elégants, toujours de très nombreux Gobemouches Noirs et un magnifique Loriot d’Europe mâle… Côté reptiles, très nombreuses Tortues Grecques et une petite Couleuvre Fer-à-Cheval dans un canal d’irrigation…
Tortue Grecque
Couleuvre Fer-à-Cheval
Nous retrouvons la voiture sans difficulté… Et direction Tardoudannt…
Sur la route, nous sommes survolés par un Aigle Botté de forme sombre…
C’est maintenant la dernière « étape » du voyage, demain on part… On finit par une ville… Très belle de l’extérieur, avec des remparts ocre, des espaces verts et des esplanades propres…
On arrive à une porte et aussitôt un type en cyclomoteur nous fonce dessus proposant « des tapis, des fabricants d’huile d’argan, le souk berbère , etc. »… Franchement, pénible… J’explique au mec que je suis déjà venu, que je connais très bien et que ce n’est pas la peine… Après avoir insisté et nous avoir suivis un moment, il nous lâche… On va se perdre tout seuls dans les souks… Des ruelles surpeuplées, couvertes ou non… Ateliers ouverts sur la rue : des hommes installés à une machine à coudre, d’autres qui travaillent le métal avec des fers à souder, des menuisiers… Chaque corps de métier est regroupé dans un secteur particulier… Des magasins d’alimentation, de vêtements, de pâtisserie ou de tissus… Ou de n’importe quoi… Beaucoup de monde, mais étrangement silencieux… Je ne suis pas fan des villes – je l’ai déjà dit – mais ça vaut le détour…
On se perd sans arrêt mais, comme dans le désert, le soleil bouge moins vite que nous et on arrive toujours à retrouver le mur d’enceinte sur lequel on vient butter pour rebondir dans la cohue… Une calèche roule à côté de nous et le « cocher » nous suit sur plusieurs dizaines de mètres, au pas, cherchant à nous vendre un « tour »… Et il insiste… Vraiment insupportable… Pas mal de Marocains m’ont parlé de ce comportement agressif et sont parfaitement conscients des conséquences contre-productives de ce type de harcèlement… L’image du Maroc en pâtit réellement et il suffit de parler avec les gens qui y sont allés ou avec les Marocains eux-mêmes pour s’en rendre compte… D’autant que la prise de contact est toujours basée sur l’hypocrisie et l’ambiguïté… On vient vous parler de la France, de telle ou telle ville et de l’oncle ou du cousin qui y vit… Comme pour donner à la rencontre un caractère spontané et sympathique… N’en croyez rien, tout est strictement préparé… Les faux guides se placent dès le matin près des trois portes les plus fréquentées, avec leurs vélomoteurs, et foncent à tour de rôle, selon un ordre de préséance préétabli, sur tout Européen qui pointe le bout de son nez… Après, c’est le baratin habituel, et au bout du compte une visite dans le magasin du cousin ou du « complice » où l’on cherchera à vous faire croire que vous êtes arrivé par hasard…
Nous achetons quelques trucs, surtout des pâtisseries, pour offrir au retour et nous quittons les lieux… Impression mitigée …
Sur l’esplanade je note quelque chose en levant les yeux : c’est la fin de la journée et de nombreux Martinets des Maisons tournent au-dessus des remparts… Certains d’entre eux rentrent dans des trous de la muraille, juste sous mon nez… Je tente de "rattraper" les mauvaises photos que j’avais faites en Turquie…
Je jette un œil sur des couples de jeunes amoureux installés sur des bancs… Ca fait du bien de voir un peu d’amour… Impensable dans l’enceinte de la ville où le poids de la tradition semble écrasant… Pourtant, ici non plus, pas d’embrassades, on se tient seulement par la main, mais c’est déjà magnifique… Offrande vespérale à la douceur et à la tendresse… Certains couples semblent craindre que je les photographie, mais je les rassure en montrant les oiseaux qui tournent dans le ciel et je gagne un sourire complice !… Quelques femmes non voilées ici, mais peu nombreuses cependant…
Etrange : les gens de l’extérieur des remparts semblent plus "cools" que ceux de l’intérieur… Peut-être n’est-ce pas une impression, mais le résultat d’une convention tacite… Ou l'épiphanie des vertus de l'ouverture et des affres de l'enfermement !... Peut-être les femmes mettent-elles toutes leur voile quand elles entrent dans les murs… Je n’en sais rien…
Nous repartons à Sidi Brahim pour passer notre dernière soirée chez Abdel… On nous sert un couscous, le premier du séjour… Excellent… Ensuite, on discute avec Abdel… Plus tard, je fume une dernière cigarette dans le jardin, dans la douceur du soir et je pense à demain : au vol, au retour, à la pluie et au froid…
19 septembre
Direction Aït-Melloul, l’aéroport… L’embarquement et le décollage… Voilà, c’est fini…
Impression étrange… Une sorte de déchirement… Laisser le soleil…
J’ai découvert un monde que j'ignorais… Je le croyais moins traditionaliste et pensais voir une plus grande mixité sexuelle, plus de femmes « découvertes »… J’ai perçu la détresse des hommes, coupés de l’autre sexe, et profondément meurtris par le « mur invisible » dont j’ai déjà parlé… La place laissée à l’amour choisi et spontané est minuscule… J’ai découvert ces dots que doivent payer les hommes et qui réduisent la plupart des mariages à des prouesses de maquignons…
La tradition est pacifique, plutôt bienveillante, mais la tradition, comme disait Chesterton, c’est la démocratie des morts… Et puis trop de barbus et de femmes en niqab croisés ici ou là... Largement minoritaires, ils laissent néanmoins entrevoir à quel point le salafisme s’installe dans le royaume de l’ouest…
J’ai vu un peuple souvent misérable, des enfants qui ne vont pas à l’école et des tonnes d’ordures sur le bord des routes… J’ai vu peu de sourires sur les visages comme si la vie était forcément un accablement…
J’ai détesté les chasseurs de touristes, hypocrites, mielleux et menteurs qui assaillent le premier Européen qui passe à leur portée…
J’ai aimé la gentillesse des gens simples, des gens des campagnes… J’ai presque toujours vu quelque chose de mélancolique dans leur regard… J’ai découvert des bonnes volontés qui, un jour, renverseront les montagnes… Je me suis senti tout petit…
J’ai aimé la patience des hommes… J’ai aimé parfois ce qui donne aux musulmans leur force et leur faiblesse : le fatalisme… J’ai aimé les nomades du désert et leur culture insaisissable pour un occidental comme moi, tant elle est différente…
On voudrait que les cœurs s’ouvrent tant ils sont grands…
Et puis, j’ai senti à quel point le Maroc était une monarchie… Les gens citent les discours du roi… Ils en répètent des bribes : « il faut respecter les femmes », « il faut bien se comporter avec les touristes »… Etonnant comme cette parole est largement adoptée et intégrée… La plupart de mes interlocuteurs, quel que fût leur niveau social, adulaient leur roi… Au risque de choquer quelques « belles âmes », je crois que cette institution constitue un contre poids salutaire face à la lourdeur de la tradition, voire face aux Salafistes…
J’ai souffert du silence et de la discrétion des femmes… Furtives, elles semblaient vouloir disparaître dans un trou quand elles nous croisaient… Je n’ai jamais pu ou osé leur parler… Elles étaient toujours dans l’arrière-scène… Je ne parviens pas à envisager le monde sans la possibilité, au moins théorique, de l’amour sans conditions… Une société n’existe à moitié qu’au prix de sa névrose… Mais peut-être mon impression est-elle ethnocentrique… Peut-être d’autres voyages me permettront-ils de découvrir une harmonie secrète des désirs et des élans purs qui m’aurait échappés ?… J'en doute...
La beauté du pays… La rocaille et le soleil… L’eau et l’arbre rares… Nous entrons déjà dans les nuages : c’est le Pays Basque espagnol… D’un point de vue climatique, on a définitivement quitté l’Afrique !…
Je vous laisse les liens de mes deux lieux d'hébergement... Surtout, n'hésitez pas à y aller, vous ne serez pas déçu !
Maison nomades, à Tighmert : http://fr.darnomade.com/
La Tour de Toile, à Oulad Brahim : www.facebook.com/latourdetoile?ref=hl
Liste des espèces observées
Bulbul des Jardins
Bruant du Sahara
Pie Bavarde ssp. mauritanicus
Tourterelle Turque
Tourterelle Maillée
Etourneau Unicolore
Moineau Domestique
Merle Noir
Gobemouche Noir
Cochevis de Thékla
Traquet Oreillard
Hirondelle Rustique
Pie-Grièche Grise ssp. algeriensis
Goéland Leucophée
Bécasseau Sanderling
Courlis Cendré
Gobemouche Gris
Tchagra à Tête Noire
Rougequeue de Moussier
Flamant Rose
Chevalier Gambette
Chevalier Aboyeur
Héron Cendré
Aigrette Garzette
Ibis Falcinelle
Spatule Blanche
Canard Colvert
Sarcelle d'été
Combattant Varié
Gallinule Poule-d'eau
Foulque Macroule
Hirondelle Rousseline
Fauvette des Jardins
Traquet à Tête Blanche
Traquet à Tête Grise
Pouillot Fitis
Ammomane Elégante
Traquet Motteux
Pie-Grièche à Tête Rousse
Moineau Espagnol
Pie-Grièche Grise ssp. elegans
Traquet Rieur
Faucon Crécerelle
Geai des Chênes
Linotte Mélodieuse
Martinet des Maisons
Cratérope Fauve
Fauvette Passerinette
Chardonneret Elégant
Loriot d'Europe
Aigle Botté