Las Bardenas Reales de Navarra – Espagne (mai 2010)
Las Bardenas Reales de Navarra !… Aux confins de la Navarre, de l’Aragon, de la Castille et de la Rioja… J’en attendais beaucoup et je n’ai pas été déçu…
Paysage inhospitalier, aride et tourmenté… Je me croyais dans un western… Personne autour de moi et ces formations géologiques de tous les côtés… Des mesas, des canyons et des barrancos… Des étendues caillouteuses et sèches, piquées de thym, à perte de vue… Des champs de boue blanche et séchée, ondulés au loin, comme déversés d’un camion titanesque… Un film… Comme quand j’étais gamin…
La pluie ravine tout, très vite… Et le soleil sèche l’œuvre… Partout des canyons sont suscités par l’écoulement des eaux… Leurs pentes peuvent faire près de 100 mètres de hauteur… Ou quelques centimètres, là, juste entre mes pieds… La fixité des choses n’est pas de mise ici… L’homme non plus… Pas d’ombre et peu d’eau… Je m’y sens bien, surtout le matin, aux premières heures du jour, avant les touristes – peu nombreux de toute façon –…
Le secteur est vaste… Plus on le pénètre et plus il devient minéral… Depuis les villages alentours, on grimpe une rampe de quelques dizaines de mètres et on arrive sur le plateau… Quelques moutons, des champs d’avoine où les coquelicots se sont déversés comme le sang hors d'une plaie…
Au fil des kilomètres, la caillasse prend toute la place… Et les herbes sèches… Quelques points d’eau, temporaires forcément, quelques roseaux… La pierre, friable et blanche, vite poussière sous les roues des voitures... Sourde, craquelée, veinées de minuscules galeries qui s’effondrent sous le pas…
Facile d’imaginer un immense plateau, une montagne ruisselante, qui s’est délitée ou a résisté, selon la nature de son substrat, pour former une fantaisie cosmique pétrifiée sous le soleil… J’ai bien dit fantaisie et non hasard… Je crois qu’en fait tout serait parfaitement prévisible à qui saurait rassembler l’intégralité des innombrables paramètres en jeu… Le déterminisme est à l’œuvre, mais contraire à sa nature, il rend toute prédictibilité vaine…
J’exulte… Je n’ai pas peur des mots… Ce paysage austère est fait pour mon œil, cet air pour mes poumons et la désolation pour mon cœur… Les effluves des plantes m’enivrent et m’apaisent à la fois… Je vais bien… J’ai le sentiment d’être propre malgré la poussière qui s’insinue en moi… Même le vent m’est indifférent…
Je sais pourtant que je ne suis ici que toléré… Un visiteur au vrai sens du terme… Malgré mon goût pour l’endroit, il est évident que je ne pourrais y vivre à plein temps… Comme le navigateur en mer… C’est "mon" milieu et pourtant je n’y suis pas chez moi… Je crois que j'aime l'endroit précisément pour cela… Pour ce compromis, cette incertitude et cette évidence absolue du caractère transitoire de ma présence… Le soleil finirait par me chasser, ou le vent par me rendre fou… Ou l’eau par manquer… Basta…
Un tour aux oiseaux... Partons de la périphérie vers le centre...
Les abords
Autour des Bardenas, il y a des villes gavées jusqu’à la gueule de monuments et d’histoire… Comme si la Reconquista avait marqué à chaque pas son avancée pour hurler sa gloire, dans une folie d’églises, de monastères, de palais et de châteaux… De Zaragoza à Pamplona…
Et la nature, alternance de cultures et de garrigues… Relief tourmenté… Effondrements… Plateaux… La sensation aussi de pouvoir tout traverser… Perspective ouverte…
Des montagnes respectables au sud… Le Moncayo encore couvert de neige… La Rioja où s’adosse la vigne…
Chaque champ, chaque culture, chaque friche est survolée par un Milan Noir… Il y en a partout… Il suffit de lever les yeux… Quelque fois, un Busard Saint-Martin a pris la place… Ou peut être une Buse Variable, mais rarement, je n’en ai vu qu’une… Les Vautours Fauves sont très présents, erratiques comme il se doit… Dans le ciel passent Grands Corbeaux ou Corneilles Noires, les premiers cités étonnament nombreux…
Milan Noir
Les Cochevis Huppés sont extrêmement abondants… Ils s’envolent du bord des routes, juste devant les voitures, ou cherchent leur nourriture dans les champs et les prés, sur les parkings ou dans la poussière des pistes…
Les fils électriques ou téléphoniques accueillent leur lot de Pigeons Ramiers et de Tourterelles des Bois ou Turques…
Un groupe de Hérons Gardebœufs se tient dans l’un des rares troupeaux de vaches du secteur… L'élevage n’est pas vraiment la spécialité ici…
Les villes et villages peuvent s’avérer intéressants du point de vue ornitho… Notamment grâce aux Cigognes Blanches… Des nids sur les clochers et les cheminées des églises et des monastères… Impressionnant… Franchement sympathique, même si c’est un cliché… Les grands oiseaux survolent les rues et les places, se posent sur les toits…
Une pensée me vient, puérile et réjouissante : à des strates différentes, deux espèces occupent le même espace sans pour autant se côtoyer réellement… Les cigognes en haut et nous en bas… Je ne les imagine pas descendre au sol et se nourrir sur les trottoirs au milieu des passants…
Cigogne Blanche
Cigognes Blanches (poussins)
En zone urbaine, il y a aussi les Martinets Noirs, les Hirondelles de Fenêtre et Rustiques… Les Moineaux Domestiques… Et puis les Etourneaux Unicolores qui semblent siffler les passants, avec une pointe de vulgarité… Mais c’est seulement leur voix… Pas d’anthropomorphisme…
Etourneau Unicolore
Moins nombreux, mais présents aussi : Rougequeues Noirs, Faucons Crécerelles sur quelques clochers et Huppes Fasciées volant comme des papillons géants entre les maisons ou scandant inlassablement leur "pou pou pou" en pleine chaleur…
Quand la végétation s’épaissit, souvent aux abords des rivières ou des fleuves, les Rossignols Philomèles sont là, intarissables et invisibles sous les couverts… Merles Noirs, Mésanges Charbonnières, à petite dose, presque insolites ici… Pies Bavardes omniprésentes… Serins Cinis et Chardonnerets Elégants… Des Coucous Gris chanteurs…
Sur les ruines d’un château fort, j’observe un Monticole de Roche…
Monticole de Roche
Il ne fait pas les choses à moitié et se tient la plupart du temps sur le sommet du donjon pour scruter les alentours… Autrefois c'était l'homme, maintenant c'est l'oiseau... L'oiseau à cause de l'homme... Adaptation au milieu et spécialisation parallèle de deux espèces successives…
Parfois, le monticole plonge vers un champ caillouteux en contrebas, où s’activent quelques Linottes Mélodieuses... Il rejoint sa femelle terne qui se tient sur un buisson, juste sous le fil électrique où il vient de s'installer…
Quelques Vautours Fauves passent dans le ciel et aussi un Vautour Percnoptère subadulte, reconnaissable à son plumage encore un peu "sale"...
Si je m’élève vers les hauteurs et les pentes boisées du Moncayo, tout devient vite "typiquement" banal : Rougegorges Familiers, Pinsons des Arbres, Troglodytes Mignons et Roitelets à Triple Bandeau… Une seule observation notable et pas si fréquente : un Loriot d’Europe en vol, vu à plusieurs reprises et à mi hauteur entre les arbres d’un pré…
Premier cercle des Bardenas
On monte la rampe du plateau… Deux ou trois lacets et l’on atteint une autre dimension… Plus de maisons… Plus de lignes électriques… Plus d’hommes… Mais l’on se trompe, le premier cercle est occupé… Champs d’avoine, oliveraies… Même quelques rizières… Quelques tracteurs… Quelques bergeries…
N’allez pas penser que je parle de "premier cercle" en référence à l’enfer… Non, c’est seulement qu’il s’agit d’une zone intermédiaire, un sas de "compression" avant la sauvagerie totale du cœur du désert… Au loin, les reliefs presque géométriques des falaises et des mesas se découpent sur l’horizon… Devant moi alternance de cultures et d’étendues herbeuses et minérales…
D’abord, je lève la tête… Milans Noirs souvent, Busards Saint-Martin parfois… Des Vautours Fauves en transit depuis leurs falaises vers la campagne des hommes, en bas… Les rapaces les plus répandus dans ce secteur sont les Busards des Roseaux, patrouilleurs inlassables… Un Epervier d’Europe chasse au-dessus d’un champ et se pose de temps en temps sur un arbuste en bord de piste… Quelques Grands Corbeaux traversent le ciel…
Une bergerie abandonnée abrite deux Chevêches d’Athéna, installées en plein jour sur les vieilles pierres… Les Moineaux Domestiques sont très nombreux en bord de route et autour des quelques bâtiments souvent abandonnés… Les Etourneaux Unicolores sont très nombreux et ne semblent occuper que la frange extrême des Bardenas…
Etourneau Unicolore
Le ciel est plein d’Hirondelles de Fenêtre ou Rustiques et de Martinets Noirs…
Cochevis Huppés partout, sur les pistes et dans les champs labourés… Pies Bavardes… Guêpiers d’Europe… Huppes Fasciées…
Guêpier d'Europe
Encore quelques mètres… Un Tarier Pâtre sur un buisson… Une Bergeronnette Grise… Et puis les Traquets Motteux, partout… Quelques Linottes Mélodieuses, des Pipits Rousselines… Et on atteint le cœur du paysage, insensiblement… Pourtant on sait immédiatement qu’on y est… C’est difficile à décrire… Une dureté accentuée… Plus de pierres, moins de plantes… Les routes étroites mais goudronnées qui se transforment en pistes cabossées… La poussière… Le relief qui se fait délirant…
Bardenas Blanca Baja
Ca y est… Un mot s’impose avec évidence, peut-être même son substantif : sauvage… "Le" sauvage… Les points d’eau ont disparu… Galets, touffes de thym, terres blanches ou rouges selon les endroits… C’est une étendue plate au premier regard, mais qui s’avère infiniment torturée quand on s'avance… Effondrements, infiltrations, écoulements ont accompli leur œuvre…
Les Guêpiers d’Europe affectionnent pour creuser leur terrier les parois verticales des barrancos, hautes le plus souvent de quelques centimètres seulement…
Guêpiers d'Europe
Autrement, dans ce secteur, même si les oiseaux savent voler, ils vont souvent à pied, jouant de la maigre végétation et de leurs plumage ternes pour se soustraire aux regard importuns : Cailles des Blés chanteuses et invisibles, Perdrix Rouges en alerte permanente, promptes à la fuite…
Perdrix Rouge
Oedicnèmes Criards, couleur terre sur fond de terre, qui s'envolent parfois, effrayés par mon approche...
Oedcinème Criard
J’ai subi un cuisant échec : pas de photos de Gangas… J’ai vu à deux reprises des Gangas Catas et c’est tout !… Et j’étais loin… Lors de la première observation, les oiseaux sont passés en vol au-dessus de ma tête… J’ai levé mon appareil et appuyé sur le déclencheur… Rien… Immédiatement après leur disparition, j'ai fait un essai et tout fonctionnait normalement… Je jure que c’est vrai…
Pas vu de gangas unibandes… Je sais que ces espèces sont difficiles à trouver et, les connaissant extrêmement mal, voire pas du tout, je ne sais ni où ni comment les chercher…
Pour ce qui est des alouettes, ce fut différent… Carton plein…
Alouettes Calandrelles omniprésentes dans les herbes rases ou sur la terre nue…
Alouette Calandrelle
Alouettes Pispolettes attachées à des lieux plus arides encore…
Alouette Pispolette
Alouettes Calandres, grosses comme des petits pigeons… Chanteuses intarissables, en vol ou perchées bien en vue sur des arbustes…
Alouette Calandre
Alouettes des Champs, s’élevant depuis le sol et lançant leur chant, ad libitum, jusqu’à disparaître, minuscules, dans le ciel matinal…
Cochevis Huppés, abondants comme partout ailleurs, sur le bord des pistes, dans les champs et sur les rochers… Je dis bien partout… Il y a aussi des Cochevis de Thékla, plus attachés aux secteur rocheux, me semble-t-il… Pas forcément aisés à distinguer des cochevis huppés… Je dirais : bec conique et non arqué, plumage plus gris que roux, dessous strié de noir assez net… Pas évident…
Et last but not least, le Sirli de Dupont… Il m'a fallu du temps pour le trouver… Je ne savais pas vraiment où chercher… Ou plutôt, je savais qu’il fallait chercher dans les herbes, mais il y en a tellement… J’ai commencé par seulement l’entendre… Un sifflement étrange, flûté et sonore… Puis, j’ai mis une éternité à estimer la distance… On croit entendre ce chant à deux ou trois mètres de soi et, en réalité, l’oiseau est beaucoup plus loin… Ca ne facilite pas sa découverte… Mais j’ai eu de la chance…
Sirli de Dupont
Quand le sol devient plus minéral et accidenté, les Traquets Oreillards prennent le pas sur les Traquets Motteux…
Des Bruants Proyers, des Pipits Rousselines et quelques Pies-Grièches à Tête Rousse sur les rarissimes arbustes… Quelques Faucons Crécerelles en chasse…
Dans le ciel, Vautours Fauves et plus rarement Percnoptères… Milans Noirs, de moins en moins abondants… Et bien sûr, hirondelles et martinets…
Reliefs
Au centre de la Blanca, se trouve une zone particulièrement tourmentée… Canyons, mesas… Plateaux brutalement interrompus par de vertigineux à-pic… Parfois la végétation est purement absente… D’où pas mal d'espèces rupestres, il va sans dire… Grands Corbeaux et Craves à Bec Rouge, bruyants…
Sur les falaises de la Ralla de nombreux Vautours Fauves se reproduisent…
Vautour Fauve
Leurs aires énormes, avec les jeunes immobiles qui attendent qu’on les nourrisse…
Vautours Fauves adulte et jeune sur leur aire
Un couple de Vautours Percnoptères, peut-être plus, occupe également ce secteur… Je n’ai pas découvert précisément son canton, mais j’ai vu les oiseaux à plusieurs reprises, notamment le matin quand ils effectuaient ensemble leur premier vol de la journée…
Vautour Percnoptère
On m’avait dit qu’un couple d’Aigles Royaux nichait sur ces falaises…
Aigle Royal
C’est probablement l’un de ses membres que j’ai découvert, peu après le lever du jour, condescendant et immobile sur un promontoire…
Aigle Royal
J’espérais voir des Traquets Rieurs… Pour la première fois… Avec de la chance et du bon sens, je n’en ai vu qu’un… Je l’ai cherché à un endroit précis, dans un système de formations minérales coniques et de falaises de petite taille et je l’ai trouvé… Alléluia…
Je n’y croyais plus… Ma découverte n’est intervenue que le dernier jour…
Traquet Rieur
Enfin, levant la tête au-dessus des reliefs, j’ai vu dans le ciel d’autres espèces, trop haut et de façon trop fugace pour pouvoir leur prêter un statut quelconque… Une Bondrée Apivore, probablement en errance, eu égard à l’absence totale d’arbres … Un Aigle Botté en phase claire, si loin que je n’ai pas fait de photo, même pour le souvenir… Des Martinets Noirs, quelques Martinets à Ventre Blanc...
Il y a de l'eau !...
Il y a quelques points d’eau dans les Bardenas… Un étang assez grand dans le centre du secteur, la balsa de Zapata, incongru dans toute cette sécheresse… L’aridité pourtant, jusqu'aux rives… Juste quelques tamaris…
Là, tout est comme partout ailleurs quand il y a de l’eau : Foulques Macroules, Canards Colverts, Grèbes Huppés et Castagneux… Quelques Hérons Cendrés… Deux ou trois Goélands Leucophées de passage… Sur les rives, Chevaliers Guignettes, Petits Gravelots probablement nicheurs et pas mal d’Echasses Blanches…
On trouve aussi, mais plutôt à la périphérie, quelques points d’eau de tailles variables, souvent bordés de grands roseaux… Et là, c’est une véritable explosion de Rousserolles Turdoïdes… Bruyantes, proches les unes des autres,omniprésentes… Jamais je n'en ai vu autant sur des périmètres aussi restreints…
Rousserolle Turdoïde
Voilà… Et maintenant retour vers le nord… Seulement deux heures consacrées chaque matin aux oiseaux pendant six jours et le bilan n’est pas mauvais… Qu’aurais-je vu de plus à plein temps ?… Peut-être pas grand-chose… Mais j’en doute…