Sud-est Turquie - Tuzla, delta de Göksu, collines de Tasucu, retour vers Adana (15 au 18 mai 2013)
Mercredi 15
On vient de quitter le Taurus et on reprend la route… 160 kilomètres jusqu’à la mer… Direction Tuzla… On longe les méandres du fleuve Seyhan… On dépasse le village et on passe sur une route entre deux lagunes côtières… On va manger sur la plage…
On scrute un peu au large : un Labbe Parasite !… Des Glaréoles à Collier nous survolent…
Glaréole à Collier
Sur les lagunes, des Flamants Roses… Tous juvéniles… On explore les vasières… Une colonie de Sternes Naines, avec quelques Sternes Hansel et Pierregarin…
Sterne Naine
De très nombreux Gravelots à Collier Interrompu… Quelques échassiers : Chevaliers Sylvains, Combattants Variés, Pluviers Argentés… Et puis, cette fois tout proches et à bonne lumière, des Vanneaux Eperonnés…
Vanneau Eperonné
A la limite des zones marécageuses et des prés salés qui séparent la lagune de la mer, des Prinias Graciles et des Bergeronnettes Printanières, race des Balkans (feldegg) à tête noire…
Bergeronnette Printanière des Balkans
Un peu plus loin encore, on recherche les migrateurs sur les zones pelées… Et on a tout bon : un Traquet de Chypre chasse sur le sol et se perche sur les tiges les plus hautes… J’ai cru que c’était un Traquet Pie, mais Mitko avait un doute… Après avoir décortiqué les photos, le soir, j’ai admis qu’il avait raison…
Traquet de Chypre
La bête n’était pas facile !… Les deux espèces sont très proches et n’ont été différenciées que très récemment… J’ai d’ailleurs toujours des réserves quant au statut réel de ces oiseaux : races ou espèces distinctes ?… En plus, il s'agit d'un mâle immature, avec bien sûr un plumage aberrant, pas terminé en quelque sorte… Du point de vue géographique, les deux sont possibles dans le coin, mais le traquet de Chypre est plus probable… On est juste au nord de l’île où l’espèce se reproduit de manière endémique… Quelques détails me font admettre qu’il s’agit bien de cette espèce : la couleur de la calotte et surtout le noir de la gorge qui s’étend assez bas sur la poitrine… Mais franchement, il faut chercher loin !… Je continue à douter de la taxonomie moderne et de son manque de retenue… Un Tarier des Prés traîne aussi dans le secteur, facile lui !…
Un buisson entre les prés et la plage et le chant d’un Rossignol Progné, identifié immédiatement par Mitko… Vraiment différent du Philomèle, avec la même voix, mais qui ne saurait pas chanter… Les sons sont les mêmes, la musicalité en moins… Dans le même arbuste, une Pie-Grièche Masquée… Ma première… Mitko me dit qu’on en verra d’autres… Pas mal d’Agrobates Roux, comme partout… Dire que j’ai cherché cet oiseau en Extremadura, comme un trésor, sans jamais le découvrir !…
On a dû louper pas mal de trucs dans ces pelouses, tant le traquet nous a accaparés… On repart vers l'est direction Tasucu : 200 bornes !…
Tuzla… Des plantations potagères et des campements minables… Des tentes et plein de monde qui s’active autour… Des gosses… Mitko m’explique que ce sont des Kurdes… Ils viennent pour la saison, piquer les fraises... En hiver ils repartent dans l’est… Ils semblent misérables… Plus loin un champ et une bonne trentaine de femmes agenouillées qui s’activent, en grappe…
On longe le fleuve Seyhan, après Tuzla… Tout du moins ses méandres quand ils veulent bien apparaître derrière une végétation épaisse… On voit un nid de Rémiz Penduline dans la rive boisée et on s’arrête… Pas longtemps, il y a de la circulation et les oiseaux ne se montrent pas… Sur un fil, de l’autre côté de la route, je repère de loin un Martin-Chasseur de Smyrne… Bonne lumière, tout va bien… Mitko approche doucement, je mitraille… L’oiseau capture une proie au sol et revient sur son fil… Toujours de face… Il s’envole enfin sans me montrer son dos bleu métallique… Un peu frustrant…
Martin-Chasseur de Smyrne
On passe à Tarse et j’ai une pensée pour Saül… Je me demande ce que ce type, que j’ai toujours trouvé un peu exalté et inquiétant, penserait de sa ville qui bétonne à tout va… Difficile d’imaginer un environnement moins biblique !… Et ça continue, j’ai l’impression de quitter définitivement l’Orient… Maintenant, on longe la mer... Les villes balnéaires s’enchaînent avec leurs immeubles, toutes pareilles à celles de la Côte d’Azur ou d’ailleurs… La nature se fait rare… J’ai l’impression que c’est déjà un peu la fin du voyage… Je n’aime pas ça… Un Coucou Geai capture une proie au sol près de la route...
On arrive à l’hôtel…
Très bien, mais ça pourrait être n’importe où, avec la mer en face… Piscine, palmiers et tutti quanti… Je ne vais pas me plaindre et je repense au temps qu’il doit faire en France… Je regarde la mer…
Jeudi 16
Direction le delta du Göksu… Le fleuve où Frédéric Barberousse se noya… Il y a deux grands étangs lagunaires et de vastes étendues buissonneuses ou pelées… Un paradis pour les oiseaux… Le tout cerné par les villes… Un havre de paix… Il fait de plus en plus chaud et j’aime ça… Je vois que les Anglais ont un avis différent sur la question !…
Mitko part acheter du pain et je photographie une Tourterelle Maillée sur un fil…
Tourterelle Maillée
On démarre et on s’arrête bien vite : un vol d’au moins cent Pélicans Blancs… Très haut et très loin, mais c’est déjà ça… On ne comptait pas en voir… Ils ne se reproduisent pas dans le delta et y stationnent juste en migration ou en hiver… Et la saison est bien avancée… Je photographie quand même, comme je peux… Qu’est-ce qu’ils sont loin !…
Pélicans Blancs
On commence par les friches entre la ville et le delta… Broussailles et maquis bas avec des esplanades d’herbe rase… Les derniers bâtiments sont encore proches… Un Faucon nous survole et file droit vers la mer… Mitko dit « Eléonore », je dis « Hobereau »… Cette fois, c’est moi qui ai raison…
Faucon Hobereau
Comme partout ailleurs des Bulbuls d’Arabie… Mais jamais vraiment nombreux et bien moins faciles à observer que je ne l’imaginais avant de venir… Je ne sais pas pourquoi je prêtais à cette espèce un tempérament aussi confiant… Les oiseaux sont installés sur des grandes tiges émergeant de la végétation…
Bulbul d'Arabie
Plusieurs rencontres de ce type… Quelques Pies-Grièches Masquées, pas faciles à approcher…
Pie-Grièche Masquée
Des Moineaux Domestiques… Des Fauvettes à Tête Noire qui chantent dans les broussailles…Des Agrobates Roux… Des Pies-Grièches Ecorcheurs…
Et puis les vedettes du coin : les Francolins Noirs… Nombreux chanteurs… Tonitruants et proches, le plus souvent invisibles dans les fourrés… On arrive à en apercevoir quelques uns sur de petites éminences ou dans de petites clairières entre les buissons, mais ils sont loin…
Je sens que tout le monde voudrait partir à la chasse au Francolin, mais Mitko nous entraîne vers un observatoire…
L’édifice donne sur une grande lagune… Et on mate… Des Aigrettes Garzettes, une Grande Aigrette (la seule du séjour), un Héron Cendré (le seul du séjour) et un Héron Pourpré… Voilà pour les bêtes à grandes pattes… Très loin dans les roseaux, tout au bout de l’étendue d’eau, une Talève Sultane…
Un couple de Nettes Rousses nage près de la végétation et un Tadorne Casarca est installé sur une petite bande de terre, sur la rive, loin en face de nous… Des Grèbes Huppés…
Passage d’un groupe d’une quinzaine de Guifettes Leucoptères accompagnées de trois Guifettes Noires… La lagune est immense… Des Rousserolles Effarvattes chantent dans les roseaux… On est trop loin et je n’aime pas ce genre d’observation… C’est peut-être un défaut… Je descend, laissant les autres à leurs longues-vues et je pars à la recherche des Francolins dans les broussailles proches de l’observatoire… Je finis par être récompensé, même si le résultat photographique n’est pas terrible…
Francolin Noir
On va vers la plage… Il fait chaud… Pique-nique… Superbe lumière…
Séance de see-watching… Tout le monde a mis sa lunette en batterie et s’active vers le lointain… Je regarde autour de moi, plus près… Passage de Sternes Naines et Pierregarins…
Sterne Pierragarin
Des Gravelots à Collier Interrompu… Et un Bécasseau Cocorli en plumage nuptial sur une petite vasière, au bord d’une minuscule lagune proche de la plage…
Bécasseau Cocorli
Je laisse mes comparses à leurs observations lointaines et je vais tremper mes pieds dans la mer… Je suis en sandales et l’eau me semble chaude… Je marche un moment, comme ça, quand je remarque à une quinzaine de mètres un truc qui flotte, un déchet… Je ne fais pas attention, abandonné à la tiédeur de l’eau contre mes pieds… Sac en plastique ou morceau de bois… Ca coule… Bizarre !… Et puis ça réapparaît… Là, je commence à faire gaffe… Finalement, je comprends, c’est une tortue Marine…
Elle apparaît et disparaît à plusieurs reprises… J’appelle les autres qui rappliquent dare-dare… Nombreuses apparitions, mais seulement le bec, très brièvement… Et puis, soudain, je vois deux individus qui semblent se battre, restent plus longtemps émergés, donnent des coups de nageoire en l’air, tête contre tête… Je vois des morceaux de carapace… Combat ?… Accouplement ?…
Je n’en sais rien… J’apprendrai seulement plus tard que le site est connu comme l’un des plus fréquenté en Méditerranée pour la ponte… Reste à déterminer l’espèce… Tortue Verte ou Caouanne… Si je devais vraiment me prononcer, je dirais Tortue Verte, bien que je n'y connaisse rien et que cette espèce soit moins commune que l'autre... Mais il me semble ne voir qu'un éperon sur la nageoire avant, ce qui serait un critère significatif, l'autre espèce en ayant deux... Si quelqu'un peut m'en dire plus, je suis preneur...
Mine de rien, l’après-midi avance… Une zone d’herbe rase, entre la mer et les lagunes… Avec quelques touffes de broussailles desséchées… Un Huîtrier Pie en vol... Je pars à pied et je le dis à Mitko… Tous sont retournés à leurs longues-vues et scrutent la mer… Ou la plage au loin… Ils me rejoindront avec le minibus…
Je traverse ce secteur bien aride… Un Oedicnème Criard s’enfuit derrière des buissons à bonne distance…
Oedicnème Criard
Nombreux Cochevis Huppé… Un Busard des Roseaux en maraude…
Busard des Roseaux
Quelques Linottes Mélodieuses…
Dans le ciel : Hirondelles Rustiques, Hirondelles de Rivage et, plus haut, Martinets Pâles… Il y a un pêcheur installé dans une cabane au bord d’un canal… Il semble vivre ici… On se regarde et on se fait un signe de la main...
Je repère un Pipit Rousseline qui cherche sa nourriture sur le sol lorsque le bus arrive et puis j’embarque…
Nous nous postons sur les rives d’une seconde lagune, très vaste… Sans roselière ici… Des étendues de vase et de sable… Sur les vasières pas mal d’échassiers : des Vanneaux Eperonnés, des Chevaliers Guignettes et Sylvains, un Courlis Corlieu, des Bécasseau Minutes et un Bécasseau Sanderling… Pas mal d’échasses Blanches… Rien d'extraodrinaire...
Juste devant nous une ligne de sable émerge de l’eau peu profonde… Un île en forme de trait… Un gros poisson mort dessus et des laridés : surtout des Goélands d’Arménie, tous de première année sauf un de 2ème été…
Goéland d'Arménie
Mais aussi une Mouette Rieuse et un Goéland Pontique… Ce dernier n’était pas attendu ici, même s’il n’y est pas incongru... Il est juste inattendu… C’est ma première observation de cette espèce… Je dirais qu’il est en plumage intermédiaire et sort de son 2ème hiver…
Goéland Pontique
Beaucoup, beaucoup plus gros que les Goélands d’Arménie… Mitko me parle d’un truc en anglais… Il détaille un autre oiseau, mais je ne connais pas le nom qu'il me donne et je ne sais pas de quoi il parle… Ce n’est qu’après avoir consulté un bouquin à la maison que j’ai compris qu’en fait il suspectait un « Heuglin’s gull » : goéland de Sibérie… Impossible pour moi de faire la traduction… J’ai un peu regardé son oiseau… C’est un oiseau intermédiaire 1er hiver et 2ème été… Je ne l’ai pas détaillé, mais pour moi, il était trop petit… Comparable en taille aux goélands d’Arménie… Peut-être un goéland brun... On ne saura jamais, je n’ai pas fait de photos…
Une quinzaine de Spatules Blanches nous survole et je mitraille…
Spatules Blanches
Elles ne sont pas si loin… Un Grand Corbeau passe dans l’autre sens, inattendu dans ce type de milieu… On a passé un bon moment à fouiller cette lagune et il est temps de rentrer…
On regagne les cultures, juste avant la ville… Et là, près d’une ferme isolée, dans un arbuste, une quinzaine d’Etourneaux Roselins… Je les croyais beaucoup plus orientaux et je ne comptais plus en voir depuis qu’on avait quitté Birecik… J’aurais dû regarder les cartes et voir que l’espèce était présente jusque dans les Balkans… L’arrêt de la voiture fait partir tous les oiseaux vers de grands arbres plantés autour de la ferme, de l’autre côté d’un pré… Mes compagnons partent tous à gauche… Moi, je file en face, sur la route qui conduit aux bâtiments… Bon pressentiment car les oiseaux viennent se percher sur les branches les plus proches de l'endroit où je me tiens sur la route… Je photographie, mais la lumière n’est pas toujours dans le bon sens et le vent n’arrête pas de faire apparaître et disparaître les oiseaux derrière le feuillage… Mon autofocus devient franchement dingue !… Allez, je ne m’en tire pas si mal…
Etourneau Roselin
Un Francolin Noir chante dans le secteur… Je continue à photographier les étourneaux… Le vent pousse des feuilles devant l’un de mes sujets et quand les branches refluent, je me rends compte que le perchoir est maintenant occupé par un Moineau Espagnol… Mon premier du voyage…
Moineau Espagnol
Ces Etourneaux Roselins concluent idéalement la journée, même si du point de vue de l’expérience humaine et du dépaysement, ce ne fut certainement pas la plus inoubliable… Les systèmes lagunaires se ressemblent, où que l’on se trouve…
Vendredi 17
Dernier jour avec mes compagnons… Demain, tous partent pour Antalya, à l’ouest, à la recherche du kétoupa brun... Moi, je retourne à Adana, vers l’est, pour prendre mon avion… Je sens monter la tristesse…
Aujourd’hui, on va dans les collines côtières, au nord de Tasuçu… A partir de Silifke la route s’élève et les garrigues prennent le pas sur les cultures… Les constructions deviennent rares… Retour à la nature… On s’arrête dans la montée pour observer un Faucon… Cette fois, c’est bon : c’est un Faucon d’Eléonore… Immature… Première observation pour moi… Je photographie, la lumière n'est pas bonne… L’oiseau quitte les hauteurs et se dirige vers la mer…
Faucon d'Eléonore
On repart… Bientôt des ruines apparaissent au milieu des buissons et des maquis… Vestiges de l’antiquité grecque, puis romaine… La ville devait être immense…
Premier arrêt au milieu de ces vieilles pierres… Chacun part de son côté entre les tertres, les maisons effondrées et la végétation typiquement méditerranéenne… Cadre idéal pour l’errance… Je pense à « Noces à Tipasa », de Camus… Ceux qui ont lu cette nouvelle comprendront…
Sur une arche encore debout, je vois un Bruant Cendrillard qui chante, bien en vue… Il me survole et se pose bien plus près de moi, mais à contre-jour… La photo attendra !... Les Traquets Oreillards sont très nombreux… D’autres espèces, habituelles pour moi : Mésanges Bleues, Coucou Gris, Geai des Chênes et Moineaux Domestiques…
Des Bulbuls d’Arabie traînent dans le secteur… Et puis, l’un des objets de notre venue : des Fauvettes de Rüppel… Plutôt pénibles à suivre dans la végétation épaisse, véritable jeu de cache-cache et très peu d’apparitions à découvert, toujours fugaces… La photo est difficile quand la bête se cache !...
Fauvette de Rüppel
J’ai perdu les autres et c’est ce que je voulais, mais j’ai dû faire un boucle car j’entends les portes du bus qui claquent… Ils sont à quelques mètres et chargent leur matériel pour repartir…
On continue et on arrive dans une petite gorge qu’on suit à mi-pente, la rivière à notre droite… Mitko nous « lâche » et on part à pied… Il remonte la route en bus, on le retrouvera plus loin… Tout le monde se sépare et suit son instinct… Un bois de pins sur la gauche, avec de grands arbres et des buissons dessous… Et de très nombreuses Hypolaïs des Oliviers qui chantent à tue-tête… Mon inconscient enregistre très vite leur voix, je ne sais pas pourquoi mais je crois que je la retiendrai longtemps encore… Le rythme est saccadé et heurté, le volume puissant… Pas faciles à repérer, remuantes et souvent dans le couvert…
Un Pic Syriaque se montre un instant le long d’un tronc, puis disparaît en vol… Même pas le temps de lever l’appareil-photos… Juste un coup d’œil dans les jumelles et, très nette, la zone blanche continue qui va de la joue jusqu’au cou, principal critère de distinction avec le Pic Epeiche, chez lequel cette zone est interrompue par un trait noir…
Des Hirondelles Rousselines filent entre les gorges… Sur la droite de la route, c’est beaucoup plus pelé… J’observe quelques Bruants Cendrillard, dont un oiseau particulièrement coopératif qui reste un moment posé sur un fil téléphonique…
Bruant Cendrillard
Plus loin, une Huppe Fasciée…
Et puis, un Monticole Bleu qui décortique une sauterelle, sur une pierre, dans la pente opposée, pas très loin de nous… Il vient encore plus près et se perche au sommet d’un poteau… Je fais des photos et je rameute le reste de la troupe, puisque l’oiseau semble installé là pour un moment…
Monticole Bleu
Deux journalistes, d’une chaîne nationale de télévision, se pointent… Ils nous interviewent… Ils regardent dans nos lunettes… Ils sont sympas, mais ne parlent pas un mot d’anglais… Il y a un homme et une femme… Ils nous filment, nous photographient… On dirait qu’ils tombent de la lune… Ils appellent leur rédaction et trouvent un interprète, on fait les interviews par téléphone… On vient d’arriver au minibus… On les quitte… Je ne verrai jamais le reportage !…
On roule quelques kilomètres et on s’arrête dans un bois de pins, en hauteur… Il y a des tables de pique-nique… Partout, suspendus aux branches des arbres, des nichoirs… Ils sont là pour les Sittelles de Krüper… Et elles sont partout… C’est la dernière espèce que je "cocherai"… Après le casse-croûte, tout le monde se disperse dans les bois, à son bon gré… Les Sittelles de Krüper sont très nombreuses, des adultes et des jeunes, petites et actives, toujours en mouvement…
Sittelle de Krüper
Premiers Pinsons des Arbres du voyage… Chants familiers… Des Chardonnerets Elégants aussi… Des Mésanges Bleues…
Plusieurs Pies-Grièches Masquées chassent dans le sous-bois… Je tente ma chance… Assez farouches… Vraiment plus petites que tous les autres membres de leur famille…
Pie-Grièche Masquée
Et puis, les Hypolaïs des Oliviers… J’en découvre une cantonnée aux abords d’une petite carrière… Et j’attends… Je réussis à prendre quelques photos… Certaines à bonne lumière avec le sujet caché dans le feuillage, d’autres dans le couvert ombragé, où le jeu du soleil donne à l’oiseau une teinte jaunâtre qu’il n’a en réalité pas du tout…
Hypolaïs des Oliviers
La journée avance inexorablement... On repart…
On passe la fin de l’après-midi dans les ruines de Diocaesare… Pour les oiseaux, c’est fini… Je remarque seulement quelques Fauvettes à Tête Noire et Mélanocéphales dans les arbres aux abords des ruines et un groupe de Guêpiers d’Europe qui nous survole un moment…
Ici, les vestiges sont plus imposant qu’ailleurs… Les ruines d’un temple de Zeus, assez imposantes…
Celles d’un temple à Tychée…
Une porte monumentale…
Un grand Théâtre où pierres et herbe se marient harmonieusement… On traîne, on s’assoit… Pas mal d’écoliers en visite, et puis, tout d’un coup le calme après leur départ et le soir qui vient… Une dernière cigarette sur une énorme pierre en-haut du théâtre…
Retour à l’hôtel… Dernière soirée… Echange d’adresses mail… Promesses de garder le contact… On verra bien… Demain je quitte tout le monde et file vers Adana…
Samedi 18
Neuf heures… Accolade avec les Anglais, pincement au cœur… Je fais la route avec un officier de la marine marchande turque qui va chercher sa belle-mère et sa belle-sœur à Adana… Il parle bien l’anglais et me raconte ses voyages… Il a fait le tour du monde… Il me parle des marins philippins, des pavillons de complaisance et me dit qu’il ne travaille qu’avec des Turcs… Il me parle des ports français où les grèves menacent toujours, des ports russes où l’alcoolisme généralisé rend toute présence à terre après vingt-deux heures dangereuse…
Il ressemble à un Allemand : grand, mince et blond… Il se sent européen…
Le trajet passe très vite… Je suis déjà devant l’hôtel… Je dépose mes bagages dans la chambre… Mon avion est à 03h00 du matin… Je vais traîner toute la journée dans les souks, dans le parc et autour de la grande mosquée… Je prends mon appareil, je compte bien voir quelques oiseaux…
Les jardins autour de la mosquée sont magnifiques et immenses…
Les gens s’y promènent, discutent avec moi… Des gosses de 8 ans me demandent des cigarettes, je fronce les sourcils et les laissent regarder dans l’objectif de mon appareil, ça suffira... Et puis, je les photographie…
Une gamine veut me vendre des lanière de laine, rouge et jaune, je ne sais même pas ce que c’est… Sa mère l’attend sur une pelouse : gitane ou kurde, je n’en sais rien… Je ne veux pas de lanière… Je prends la gamine en photo et elle est ravie…
Je traîne… Un mariage : tenue traditionnelle pour la promise, une somptueuse robe rouge écarlate, brillante et satinée… Un photographe l’immortalise sur un petit pont au milieu des arbres bleus…
Je marche tout l’après-midi…
Je me focalise sur les Pies-Grièches… A mon arrivée, je n’avais vu que des Pies-Grièches Ecorcheurs… Mais là, je découvre des Pies-Grièches Masquées et une Pie-Grièche à Poitrine Rose… Je prends mon temps…
Les pies-Grièches Masquées sont à ma hauteur, dans la végétation basse…
Pie-Grièche Masquée
La pie-Grièche à Poitrine Rose se tient sur les cimes des résineux d’une grande allée, au milieu des pelouses… Pas farouche, mais assez haut… Je tourne autour d’elle pour trouver la bonne lumière…
Pie-Grièche à Poitrine Rose
Dernières Tourterelles maillées… Ciao !…
Le muezzin s’époumone et les amoureux s’embrassent sur les bancs, au bord du fleuve…
Je regagne ma chambre vers 19h00 pour essayer de dormir jusqu’à minuit…
Je repense au voyage… J’attendais un pays en voie d’islamisation et j’ai été pris à contre-pied… Les Anglais aussi... On en a parlé… Dans les villes, les deux tiers des femmes sont en cheveux, les autres portent un foulard, mais je n’en ai vu que deux ou trois réellement voilées… Aucune burka… Les couples marchent main dans la main…
Mitko nous a dit que rien ne pourrait faire repartir les choses en arrière…
Bien sûr, plus on va vers l’est, plus archaïque, et plus les tenues deviennent traditionnelles… Les femmes sont nombreuses à porter un foulard, dans les villes et surtout dans les campagnes… Mais ça n’a rien de religieux, c’est évident… La religion n’a rien d’agressif… On traverse les villages avec leurs mosquées et leurs appels de muezzins, comme des églises et leurs cloches…
Je suis athée et n'éprouve que peu de sympathie pour les religions en général, mais ici le phénomène m’a semblé relever de la sphère privée, ce qui n’est déjà pas mal… Le dogme de la laïcité a fait son trou malgré l’accession au pouvoir des islamistes… Quand on discute avec les gens des problèmes religieux, des Kurdes ou de la Syrie, ils répondent toujours « c’est de la politique »… Je crois comprendre qu’ils veulent dire qu’on « les enfume »…
Ce que j’ai senti, par contre, c’est un nationalisme assumé, avec des drapeaux turcs partout, sur des mâts, dans le moindre village…
La nostalgie et le conscience d’un passé glorieux… D’un empire... D'une histoire longue et puissante… Les Turcs semblent fiers de leur pays…
Mais partout, des immeubles poussent comme des champignons et cette partie du monde deviendra d’ici quelques décennies comme toutes les autres…
En dix jours, j’ai très bien pu ne rien comprendre à la vie locale et me laisser abuser par l’enthousiasme… Peut-être la Turquie est-elle en fait réellement en train de basculer vers l’obscurantisme et le rigorisme… Mais je n’en ai rien vu…
J’aurais pu rester trois mois… Je le sais maintenant… Et explorer minutieusement les zones que nous avons traversées… Même pas besoin d’aller ailleurs… Juste fouiller là, à fond… M’immerger un peu plus… Comprendre la population… Apprendre quelques mots… Etre seul… Et prendre mon temps avec les oiseaux !…