Nord-est de la Norvège - Le fjord de Varanger (13 au 18 mars 2015)
13 mars
Je viens de contourner Kirkenes, que je vois en contrebas, au fond de son fjord... J'ai atteint la mer de Barents... Les arbres sont devenus plus rares, mais la neige est toujours là... Le fjord de Varanger est orienté est-ouest... Je longe d'abord ses rives sud, en roulant vers l'ouest, et puis je fais exactement l'inverse, au nord, en repartant vers l'est... Je roule tranquillement, de nouvelles perspectives à chaque courbe... De nouvelles lumières... Et bien peu de monde... Plus j'approche de l'eau, moins la neige est épaisse, probablement l'effet conjugué du sel et du vent... Seules les Corneilles Mantelées justifient le prétexte ornithologique de ma présence ici...
Rive nord et premier Pygargue à Queue Blanche... Il vole le long des reliefs escarpés au bord du fjord, non loin de Nesseby... Vraiment énorme... C'est un immature, un oiseau de 2ème année à mon avis, et c'est ma première observation de l'espèce... Quelques photos, mais la lumière est peu propice au succés... L'oiseau tourne au-dessus de moi et puis disparaît derrière les rochers...
Pygargue à Queue Blanche
Un peu plus loin, je vois mes premiers Rennes, qui broutent la végétation rare de la toundra entre les plaques de neige... Domestiques bien sûr, mais dans quelle mesure ?... J'ignore le statut exact de ces animaux que je verrai partout au bord du fjord les jours suivants... Certains sont marqués à l'oreille... Je pense qu'ils vivent un peu comme les troupeaux en estive dans nos montagnes, ils vont où il veulent et leurs propriétaires les récupèrent comme ils peuvent le moment venu !...
Je fais une photo, on ne sait jamais... Le ciel est blanc pourri, comme pour le pygargue...
Renne
J'arrive à Vadso en fin d'après-midi, peu avant la tombée de la nuit... J'ai le temps de faire un tour sur l'île qui fait face au chef-lieu du comté de Finamark : 5 000 habitants !... Je traverse un pont qui relie l'île et la ville, laisse la voiture sur une esplanade libre transformée en patinoire par le gel et pars dans de vastes étendues blanches et pelées, vers l'est de l'île, pour voir ce que je peux trouver là-bas, à l'abri du vent d'ouest plutôt costaud... Je dois faire très attention pour atteindre le rivage, la neige est très épaisse par endroits, fondue par le soleil du jour, gelée ailleurs... La progression est difficile et je ne veux pas prendre le risque de me planter alors que le séjour ne fait que débuter !... J'apprendrai vite que les fins d'après-midi sont ici les pires moments pour l'équilibre, toute la neige fondue aux heures les plus chaudes du dégel se transforme en eau gelée, créant sur le sol une surface vitrée totalement imprévisible...
Au bout de l'île, le froid est glacial, surtout à cause du vent... De nombreux Harles Huppés, farouches, s'éloignent vers le large à mon arrivée... Vraiment très farouches... Quelques Canards Colverts nagent près du bord, plus confiants... Sur ma droite, je remarque une bande d'une trentaine d'Eiders de Steller (mes premiers !) installés sur la rive, juste au bord de l'eau... Ils s'éloignent tranquillement... Saloperie de lumière !...
Ediers de Steller
Plus loin, c'est une bande d'Eiders à Duvet, une vingtaine d'individus qui nagent dans les vaguelettes... Je scrute les flots et découvre bientôt deux Guillemots à Miroir (encore une première) qui flottent l'un près de, l'autre, trop loin du bord pour que je les photographie... Un oiseau est en plumage nuptial, noir et blanc, l'autre en plumage hivernal, beaucoup plus terne... Ils ne se rapprochent pas... Quelques Grands Cormorans nagent aussi dans le coin... Des Goélands Argentés, des Mouettes Tridactyles et des Goélands Marins sont également là, posés sur l'eau ou en vol... Le secteur est désolé et le vent coupant au retour... Soudain, deux grosses "bêtes" blanches se mettent à courir à mon arrivée et s'éloignent vers des buissons... L'une d'elle se dresse sur ses pattes arrières et me regarde avec inquiétude... Ce sont des Lièvres Variables... Ils me paraissent énormes par rapport aux lièvres bruns, mais peut-être cette impression est-elle due à leur couleur blanche sur le fond blanc de la neige... Je ne sais pas... En tout cas, leurs pattes sont disproportionnées et forment des sortes de raquettes : évolution sélective pour marcher dans la neige...
Lièvre Variable
La lumière faiblit au moment où je fais un dernier tour dans le port de Vadso... Je remarque une Harelde Boréale mâle qui plonge sans relâche dans un des bassins... Plus assez de lumière pour la photo et autant dire que je ne verrai plus l'espèce d'aussi près de tout le séjour !... Il y a beaucoup de Mouettes Tridactyles posées sur l'eau entre les bateaux... Et quelques Eiders de Steller... Malgré la lumière finissante, je n'arrive pas à partir et j'arpente les pontons de bois jusqu'à la nuit, sans but réel... Il n'y a personne...
Finalement je pars pour Vestre Jacobselv où je trouve mon camping, presque enfoui sous la neige... J'ai un bungalow parfait : un bon lit, une douche et du chauffage... La nuit est tombée... Je vais à la station-service où j'achète de la nourriture pour mes cinq prochains petits-déjeuners... Et puis un sandwich et un yaourt pour le soir... Ce sera là tout mon régime pendant les jours suivants... Le gardien du camping, avant de repartir chez lui dans son gros 4x4, me dit que pour demain, c'est tempête :"no rain, but big wind", ce sont ses mots...
14 mars
Je me lève aux aurores... Rien de terrible du côté du ciel... J'ai l'intention de partir vers l'est, tout au bout du fjord, à Vardo... Là, les eiders sont apparemment nombreux entre l'île de Hornoya et le continent... On verra bien...
Juste avant Vadso, j'observe un Pygargue à Queue Blanche, encore un immature, qui vol au-dessus de la côte... J'arrive dans la petite ville et laisse ma voiture près du port... Il est très tôt, la lumière est encore hésitante et je suis seul... Nombreuses Mouettes Tridactyles... Près d'un ponton, je vois un petit groupe d'Eiders à Duvet, pas trop loin du bord... Je me risque à quelques malheureuses photos dans la clarté naissante... Pas terrible...
Eiders à Duvet
Les mâles semblent montrer quelques velléités sexuelles, les femelles sont indifférentes... Plus au large, hors de portée, je vois une bande d'Eiders de Steller et une Harelde Boréale mâle... Je reprends ma route vers l'est... Au fil des kilomètres la neige se fait moins épaisse, le ciel se couvre et le vent devient de plus en plus puissant... Je crois que je ne couperais pas à la tempête... Je suis surtout déçu par la lumière, depuis que je suis dans le fjord, je ne la vois que faible le matin ou blafarde dans la journée...
La ville de Vardo est tout au bout du fjord, sur une île à laquelle on accède par un tunnel de 2 kilomètres... Ensuite, il faut aller encore vers l'est, au bout des terres, face à l'île de Hornoya dont les falaises accueillent une des plus grande colonie de pingouins et de guillemots d'Europe...
Vardo (image internet)
J'arrive sur une esplanade désolée, juste au bord de la mer... En plein dans la tempête !... Je parviens à peine à ouvrir la portière de la voiture... Par terre, une véritable patinoire m'attend là où la neige a été balayée par le vent... Je suis périlleusement poussé dans le dos alors que je me dirige vers un observatoire à une dizaine de mètres seulement... Je m'y glisse et tout se calme... Un simple mur de bois, avec un toit, d'étroits retours sur les côtés, et un banc... Tout s'arrête et je suis au calme, devant l'île d'Hornoya... Je constate immédiatement que tous les oiseaux que je vois volent de la droite vers la gauche, au-dessus de l'eau, plus ou moins près du rivage... Je m'installe... De temps en temps, un rayon de soleil transperce brièvement les nuages...
La pointe de vardo, face à l'île de Hornoya
Le défilé commence... Des Pingouins Tordas, des Guillemots de Troïl (ici les plus nombreux parmi les alcidés), des Guillemots à Miroir... Des Goélands Argentés et Marins... Parmi eux quelques Goélands Bourgmestres (surtout des oiseaux de 1er hiver) et un Goéland à Ailes Blanches... Des Mouettes Tridactyles... Des Grands Cormorans... Et puis des Eiders à Duvet, des Eiders à Tête Grise (mes premiers !) et de rares Eiders de Steller... Je ne sais plus où en donner de la tête... Un seul défaut : les oiseaux passent toujours trop loin de la rive !...
Une petite galerie de photos... Pas toujours de bonne qualité, mais c'était comme ça...
Pingouin Torda en plumage nuptial
Pingouin Torda en plumage internuptial
Guillemot à Miroir nuptial
Guillemot à Miroir en plumage intermédiaire
Goéland Argenté adulte et Goéland Bourgmestre de 1er hiver
Goéland Bourgmestre de 2ème hiver
Goéland à Ailes Blanches (noter la tête plur arrondie que chez les bourgmestres)
Grand Cormoran nuptial
Les heures passent... Je suis dans l'oeil du cyclone... Rien ne bouge dans mon petit abri, alors que tout n'est qu'arrachement et déchirure dehors... Je l'oublie et le redécouvre en allant chercher une cigarette dans la voiture : je dois lutter contre un mur de vent, penché en avant contre un véritable solide que je dois enfoncer, mes pieds glissant sur la glace mise à nue sur le sol... Et puis je reviens et m'installe à nouveau dans mon cocon... Déjà quatre heures que je suis là... Je sens mes jambes qui tremblent et j'attribue ça au vent, stupidement, arbitrairement... Plusieurs minutes passent avant que je ne je réalise que je suis tout simplement transi par le froid... Dommage, le soleil commence à prendre le dessus, mais pas de regrets, je ne peux plus tenir... En plus, les oiseaux deviennent de plus en plus rares, même les laridés ont disparu, à part quelques Mouettes Tridactyles... Ils ont dû tous passer à gauche de mon poste d'observation, au nord de l'île... Pour quoi faire ?...
J'ai besoin de me réchauffer... Je repère dans Vardo une maison avec une porte tout à fait banale et le mot "café" écrit discrètement juste au-dessus... Je ne suis pas sûr de mon coup, mais je rentre... Ouf, chauffage !... Je bois un café et transgresse le code qui m'autorise à manger seulement pour le petit-déjeuner et le dîner : je me tape un cookie... Les derniers tremblements disparaissent... Reprogrammé, je regagne la voiture, à quelques mètres de là en luttant encore contre le vent fou... Le soleil est omniprésent... Je repars vers l'ouest...
Les paysages sont transfigurés par la lumière... Toundra, ciel bleu, neige... Petits villages côtiers, avec des maisons multicolores...
Je m'arrête un peu dans le petit port de Kiberg, où je trouve un petit groupe d'Eiders de Steller...
J'arrive à Vadso où la lumière meurt définitivement, juste après que j'ai fait un tour dans le port... Encore 12 km et je suis au camping... Crevé, gelé, gercé !...
15 mars
J'ai décidé ce matin de retourner à Vardo, de prendre un petit bateau supposé faire la liaison avec Hornoya et de rester sur l'île quelques heures... Je ne sais pas ce que ça donnera, c'est un peu trop tôt pour voir les pingouins et les guillemots sur leurs corniches... On verra bien...
Comme d'habitude, je m'arrête au port de Vadso... Il y a un Eider à Tête Grise, des Eiders à Duvet, des Eiders de Steller, des Canards Colverts et une Harelde Boréale mâle (toujours la même ?)...
Eiders de Steller
Aussi des Goélands Marins et Argentés, des Mouettes Tridactyles et sur les pontons, quelques Moineaux Domestiques... Pas mal de Corneilles Mantelées...
Après, je roule vers Vardo et le soleil est au rendez-vous... Peu de vent... Sur la route, j'observe pas mal de Corneilles Mantelées, des Grands Corbeaux et deux Pygargues à Queue Blanche... Plus je progresse vers l'est et plus la toundra devient hégémonique... Les Rennes aussi...
Après le tunnel qui conduit sur l'île, je réalise qu'on est dimanche... Il est environ 9h00 et tout est fermé... Pas une âme qui vive... J'en viens à nourrir des doutes quant à l'appareillage du bateau... Il faut dire que j'ai eu cette idée la veille, à la suite d'une conversation avec un Allemand qui parlait un anglais bizarre et qui m'a dit qu'il y avait un bateau pour Hornoya, tous les jours... Sur les quais je vois un panneau où il est question de ce bateau, mais personne dans le coin et rien d'ouvert... Il est juste question d'un départ à 10h00... Je vais en ville pour acheter un briquet car je n'ai plus d'essence dans mon Zippo... Autant le dire tout de suite, je ne fumerai plus de la journée, même pas trouvé un endroit où acheter des allumettes... Vardo est une ville morte... Le dimanche doit être célébré ici comme une veillée funèbre !... Je rejoins le port et je tourne en voiture, jusqu'à ce que je vois un groupe sur un ponton... Il y a l'Allemand de la veille avec quelques compatriotes à lui... Ils attendent le bateau aussi et ne savent pas trop où aller... Ils semblent douter de la réalité du départ... On discute un peu, on trépigne et soudain, à 10h00, un type arrive et se présente comme étant le pilote du bateau... Il passe des coups de fil pour savoir si l'appontement est possible sur Hornoya, dit que c'est bon et descend un escalier vers un petit bateau tout rouge... On finit par embarquer... La mer secoue pas mal et nous prenons quelques paquets d'eau dans la figure...
Le pilote connaît son boulot et sait pourquoi nous sommes là... En cette saison, les oiseaux ne sont pas vraiment sur l'île, mais sur la mer autour... Aussi il laisse l'île sur notre gauche et file vers le sud-ouest, pour contourner les grands radeaux d'oiseaux de mer et les "attaquer" avec soleil dans le dos... Nous avons la mer de face et je me régale avec les sauts de l'embarcation dans les vagues... Pour le virage, c'est plus délicat, la mer nous prend par le côté... Après cette manoeuvre, nous avançons vers une immense tache blanchâtre à la surface de l'eau, des milliers de petits points... Nous approchons et quelques uns des petits points commencent à s'envoler, alors que d'autres restent posés... Des centaines d'Eiders à Duvet et d'Eiders à Tête Grise, quelques Hareldes Boréales...
Eider à Tête Grise
Eider à Duvet
Eider à Tête Grise
Il y a aussi des alcidés, le gros de la troupe... Ecrasante majorité de Guillemots de Troïl, pas mal de Pingouins Tordas et de Macareux Moines... Enfin, quelques Guillemots de Brünnich (une première pour moi), représentants d'une espèce arctique qui se reproduit à Hornoya...
Guillemots de Troïl
Pingouin Torda
Guillemot de Brünnich internuptial
Bien que de très mauvaise qualité, la photo suivante est intéressante et j'ai choisi de l'intégrer ici pour son caractère "pédagogique"... On y voit de la droite vers la gauche un Pingouin Torda en plumage nuptial (deux traits blancs sur un gros bec : l'un de l'oeil à la pointe, l'autre perpendiculaire au bout de ladite pointe), un Guillemot de Brünnich en plumage internuptial (trait clair à la commissure d'un bec assez court) et un Guillemot de Troïl (pas de marque au niveau d'un bec assez long)...
Les Guillemots de Brünnich m'intéressent particulièrement, mais j'en vois peu et aucun en plumage nuptial (peut-être plus tardifs que les autres espèces)... En tout cas, difficiles à photographier au milieu de tous les autres : les vagues les cachent momentanément, le bateau se déplace et tangue, les oiseaux plongent souvent et s'envolent parfois... Résultat : quand j'en ai un dans le viseur, il n'y reste pas longtemps et une fois perdu, je ne le retrouve que rarement... Enfin, et je l'ai déjà dit, la "traversée" de cet immense radeau vivant ne dure que quelques minutes, tout simplement impossibles à gérer de manière rationnelle quand on vit cette expérience pour la première fois...
Je vois quelques Guillemots à Miroir, mais ils semblent se tenir à l'écart de leurs cousins... Enfin et bien sûr, des Goélands Marins et Argentés, et des Mouettes Tridactyles...
Terminé... D'un seul coup, il n'y a plus d'oiseaux sur l'eau... Nous arrivons à l'étroit ponton qui permet de débarquer sur l'île... Je suis perdu, complètement ivre !... C'était du grand n'importe quoi et c'était génial... L'impression d'avoir dévoré comme un chien un plat subtil et élaboré, en trois bouchées avalées sans mâcher... Je suis un goinfre !...
L'île est accidentée ou verticale, pas le choix... De petits sentiers la parcourent... Une corde permet parfois de se hisser sur des plateformes étroites... Les corniches sont vides, mais régulièrement des essaims de milliers d'oiseaux noirs et blancs rasent ces parois à une vitesse folle et dans un bruit d'ailes assourdissant... Je pense que ce sont des visites préliminaires à leur installation, pendant lesquelles les couples choisissent ou retrouvent leur emplacement... Impossible à phographier ou à identifier, tout va trop vite, mais le spectable est vertigineux... En même temps, il faut être extrêmement prudent : le terrain est très accidenté, les montées verticales et le sol alternativement terreux, rocheux, enneigé ou carrément recouvert de glace translucide... Un oeil sur les pieds, un autre sur les oiseaux... Un Pygargue à Queue Blanche, encore un immature, survole le secteur... Il est houspillé par quelques Goélands Argentés et leur proximité donne une idée de son envergure quand on sait qu'eux-même tournent autour d'1,30 m !...
Pygargue à Queue Blanche
Le pygargue ne reste pas longtemps... Je scrute maintenant les rochers de l'île et je découvre des Cormorans Huppés, peu farouches et déjà installés... Je fais des photos...
Cormorans Huppés
Ensuite, je flâne, profitant du paysage et du soleil... Mais peut-on appeler flâner une progression périlleuse dans un relief vertical saupoudré de plaques de glace ?... Le temps passe et je ne pense même plus à fumer... Curieux comme je peux parfois tout oublier et me perdre dans un lieu, dans une sorte de communion où finissent par s'estomper mes passions ornithologiques comme mes vices tabagiques... Il suffit que je ressente profondèment mon étrangeté, l'évidence en fait que je suis ailleurs...
Le bateau arrive et j'embarque... Des heures sur l'île et je n'ai pas vu le temps passer... J'ai l'impression d'avoir fait n'importe quoi, d'avoir perdu la mesure et d'avoir joué à contre-temps... Je crois que je n'avais pas le choix...
Retour vers l'intérieur du fjord... Je roule tranquillement... Passage à Kiberg et direction Vadso...
Plein ouest !... Fin du jour...
Quand je repasse à Vadso, je vais jusqu'au pont, d'où je vois les derniers rayons du soleil mourir sur les maison multicolores de la ville... Pas un nuage...
Du bon côté de la lumière, juste avant Vestre Jacobselv, je remarque un couple de Pygargues à Queue Blanche adultes... Les oiseaux sont posés en haut du relief, loin... Je m'arrête et les regarde longtemps... Impossible de les photographier à cause de la distance... Et puis l'un d'entre eux s'envole, passe un peu plus près... Je fais ce que je peux... Les adultes semblent moins coopératifs que les jeunes, mais là au moins, on voit la queue blanche !...
Pygargue à Queue Blanche adulte
Je retrouve mon bungalow avec bonheur... Plus de vent, le chauffage, une douche bien chaude et rien à faire... Aucune sollicitation : pas de télé, pas de radio, personne... Je dois sublimer la lenteur pour en extraire un bien-être profond, presque un bonheur... Je jouis profondément du fait d'être déchargé de tout le matériel photo que j'ai trimballé toute la journée... Je prends tout mon temps pour accomplir des tâches anecdotiques et qu'en d'autres circonstances j'effectuerais en quelques secondes... Une douche, laver la vaisselle, ranger mes affaires... Cette lenteur obligée et assumée, cette dillution de gestes rares et insignifiants dans un temps dilaté me procure une étrange tranquillité... Je mesure avec effroi le caractère inhumain des rythmes que nous inflige la vie moderne... Je me relâche avec délectaction, tout simplement parce que je n'ai pas d'autre choix !... Ensuite, je vais à la station et j'achète mon sandwich et mon yaourt... Au retour, je m'installe à la table et je mange tout ça dans une assiette, avec des couverts, lentement... Je fais tout ce que je peux pour rendre ce moment banal le plus précieux et le plus consistant possible... Un réapprentissage... Un temps maîtrisé... Un luxe frugal...
Et puis, je sors dans la neige, pour fumer, sur la galerie de mon bungalow...
Je vois naître une aurore boréale... Relativement modeste, elle semble d'abord vouloir se développer et dérouler ses voilages... Mais elle se ravise et disparaît bientôt... Je monte sur de gros tas de neige rendus solides et fiables par le froid du soir, comme si je pouvais me rapprocher du phénomène et mieux le voir... Je sais que c'est débile et j'en suis conscient en le faisant, mais c'est plus fort que moi... Je fais encore une fois ce que je peux avec mon compact... Et ça donne ce triste résultat !...
16 mars
Aujourd'hui, direction Batsfjord... Il faut aller au fond du fjord de Varanger, prendre la direction de Tana Bru vers l'ouest, puis remonter plein nord en traversant la montagne de Batsfjord avant d'atteindre le fjord et le port du même nom... Pas mal de route... Le ciel est indécis, une couche de nuages avec le soleil juste derrière... Il fait froid... Pour ce qui est de Batsfjord, j'ai vu quelque part qu'il y avait un observatoire flottant dans le fjord... J'avais envisagé un temps d'en profiter, mais le prix assez élevé me faisait hésiter... Et puis, je me suis dit "j'y vais quand même, s'il y a un observatoire pour les oiseaux dans le port, c'est qu'il y a des oiseaux dans le port, même sans l'observatoire"... En plus, je nourris l'espoir de trouver des lagopèdes alpins, une espèce que je n'ai jamais vue, dans la montagne de Batsfjord...
Je longe le fjord de Varanger vers l'ouest dans un premier temps...
Parfois je crois que le temps va se lever, mais les nuages auront finalement raison du ciel bleu... Un couple de Pygargues à Queue Blanche adultes est installé sur les hauteurs près de Nesseby, mais pas de lumière... Sur le fjord, je remarque un petit groupe d'Eiders à Tête Grise qui longent la rive à bonne distance...
A partir de Varangerbotn - la ville au fond du fjord - et jusqu'à Tana Bru, je traverse des boisements de bouleaux rachitiques et des escarpements rocheux... Je ne vois pas grand chose : des Corneilles Mantelées, des Grands Corbeaux et un Pic Epeichette sur un poteau téléphonique... Après Tana, je longe un grand lac, largement libéré des glaces où j'observe des Harles Huppés et des Canards Colverts...
Enfin, j'attaque la courte montée vers la montagne de Batsfjord... J'accède finalement à une sorte de plateau aux reliefs arrondis, désolé et couvert de neige... Seule la route rompt la monotonie de l'ensemble... L'arctique telle que je l'imaginais, sans aucun doute... Mais la lumière n'est pas mon amie et le ciel ne s'ouvre pas...
Je scrute les bords de route à la recherche de Lagopèdes Alpins... Je ne sais ni ou ni comment chercher... Je m'arrache les yeux et n'y crois plus tant cette immensité semble insondable... Mais je continue, par habitude... Et j'ai raison, puisque je finis par distinguer sur le haut d'une bosse deux "reliefs" atypiques qui se détachent sur l'arrière-plan... Je prends mes jumelles et je peux savourer ma victoire... Mais que faire ?... Les oiseaux sont loin, la lumière est pourrie et le sol recouvert d'une couche de neige épaisse... Terrain totalement découvert pour ce qui est de la discrétion d'une approche... Et puis je fonce !... Je laisse la voiture et pars droit dans la neige... Parfois ça tient, parfois je m'enfonce jusqu'aux cuisses... J'avance péniblement, jusqu'à une zone infranchissable où le vent a accumulé la neige au pied du relief et où je m'enfonce jusqu'à la taille... Eh bien tant pis, je ferai ce que je pourrai depuis cet endroit... Les oiseaux n'ont toujours pas bougé... Ils sont relativement éloignés l'un de l'autre et je ne parviens pas à les "rassembler" dans mon viseur... Des photos tout juste passables, des souvenirs, mais j'ai fait de mon mieux... Les lagopèdes semblaient confiants et moi je ne pouvais plus avancer... Supplice de Tantale... Savaient-ils que la neige trop épaisse m'interdisait d'aller plus loin ?...
Lagopède Alpin
Je poursuis ma route, avec une impression paradoxale de frustration et de satisfaction mêlées... Plus rien ne bouge jusqu'à la descente vers Batsfjord... A l'entrée du petit port, j'observe des Goélands Argentés, des Goélands Marins et des Mouettes Tridactyles sur un petit lac partiellement gelé... Le ciel est toujours couvert...
Je me gare sur une esplanade entièrement couverte de glace et me dirige périlleusement vers les quais... Pour ce qui est de la suite, je vais être bref : je trouve un ponton en bois, juste au-dessus d'un bassin et je me couche sur le ventre, le téléobjectif près à l'emploi... Je ne bougerai pratiquement plus, protégé du vent au ras du sol et au chaud dans mes épais vêtements... En passant, je vous conseille si vous tentez l'expérience d'un voyage hivernal dans le coin, de ne pas lésiner sur votre équipement contre le froid...
Eiders de Steller, Eiders à Duvet, Eiders à Tête Grise et Hareldes Boréales en bon nombre... Un Guillemot à Miroir vient nager dans le coin un moment, mais me prive d'une bonne photo, en restant toujours à contre-jour sur un coin d'eau complètement "explosé" par le soleil... Trève de commentaires, voilà les photos...
Eider à Tête grise
Hareld Boréale mâle
Eiders à Duvet
Harelde Boréale femelle
Eider à Tête Grise mâle
Eider de Steller
Voilà... Il ne manquait que la lumière et, ironie suprême, le soleil se montre un peu quand que je quitte la ville et attaque la montée vers la montagne de Batsfjord...
Rien à signaler ensuite... J'arrive enfin au fond du fjord de Varanger, qui s'ouvre vers l'est... Je prends une photo qui voudrait sans y parvenir montrer l'immensité et la beauté du site...
17 mars
Dernier jour... Je vais me consacrer à la recherche du pic tridactyle au camping et aux alentours - on dit qu'il y en a - et du faucon gerfaut sur les falaises d'Ekkeroy... Autant le dire tout de suite, je ne trouverai ni l'un ni l'autre, ce seront mes deux échecs...
Je quitte le bungalow et pars à pied dans les bouleaux qui couvrent tout le secteur... Il fait beau et bien moins froid que les autres jours... J'observe plusieurs espèces en trois heures de recherches, mais rien que de très banal : des Mésanges Charbonnières, des Moineaux Domestiques, des Bouvreuils Pivoines, des Pics Epeichettes, des Corneilles Mantelées et des Pies Bavardes... Ce n'est pas grave, j'étais au grand air et j'ai bien marché... En revenant au bungalow, je vois passer assez loin un vol d'oiseaux qui ressemblent à des étourneaux au premier coup d'oeil... Il apparaît que ce sont des Jaseurs Boréaux quand je les mets dans les jumelles, vite perdus derrière un relief... Il sont une bonne trentaine...
La matinée touche à sa fin et je vais sur la presqu'île d'Ekkeroy... Je gare la voiture au bout d'une piste à peu près nettoyée et pars sur un sentier qui conduit au pied des falaises... Ici, la neige est éparse, parfois profonde, parfois absente... Bientôt il n'y a plus de neige du tout et je chemine entre les rochers du rivage, au pied d'immenses parois verticales... J'arrive à la colonie de Mouettes Tridactyles... C'est tout simplement énorme... Les oiseaux sont sur les falaises, en vol ou posés sur la mer... Plusieurs milliers de couples à coup sûr... Et le site est superbe...
Mouettes Tridactyles
Je cherche en vain un faucon gerfaut dans tout ça : soit il n'y en a pas, soit je ne le trouve pas... Je reste plus d'une heure à regarder les mouettes tridactyles... Je n'arrive pas à partir, appuyé contre un rocher, avec l'impression désagréable que la marée monte... Finalement je retourne vers la voiture...
Une fois arrivé là, je repars vers le haut des falaises où je marche pendant deux heures dans la toundra, vers le cap, au milieu des rennes...
Paysages superbes où la neige est balayée sur de larges surface où émergent des rochers, parmi l'herbe rare, le lichen et les arbres nains...
Corneilles Mantelées, Grands Corbeaux, et en-dessous, les mouettes... Bientôt je ne fais plus attention et me contente juste de marcher... Au retour, j'ai le vent de face et je réalise à quel point il est froid... La marche devient épuisante...
Je prends la voiture et je roule vers le fond du fjord, vers le soleil qui est déjà très bas... Je ne cherche plus rien, je profite des dernières images...
Je suis apaisé... L'idée du départ ne m'angoisse même pas et pourtant, je voudrais rester encore...
Dernier arrêt à l'église de Nesseby, que j'avais remarquée chaque fois que je passais à proximité, toute seule au bout de sa presqu'île avec son petit cimetière autour...
Sur le rivage, tout près, des centaines de Bécasseaux Violets fouillent le varech... Derniers oiseaux du séjour, dans la lumière mourante...
18 mars
Très tôt le matin, je quitte mon bungalow pour Kirkenes et l'avion... Une petite photo pour le souvenir, après le rangement de rigueur... Je me suis senti bien ici...
Il pleut... Et c'est la première fois que ça dure plus de deux minutes !... Je n'aurai vu qu'un seul élan pendant tout le séjour, celui de la photo suivante... Mais plusieurs fois !...
Liste des espèces observées :
Corneille Mantelée
Pygargue à Queue Blanche
Harle Huppé
Canard Colvert
Eider de Steller
Eider à Duvet
Guillemot à Miroir
Grand Cormoran
Goéland Argenté
Mouette tridactyle
Goéland Marin
Harelde Boréale
Pingouin Torda
Guillemot de Troïl
Goéland Bourgmestre
Goéland à Ailes Blanches
Grand Cormoran
Eider à Tête Grise
Moineau Domestique
Guillemot de Brünnich
Cormoran Huppé
Pic Epeichette
Mésange Charbonnière
Moineau Domestique
Bouvreuil Pivoine
Pie Bavarde
Jaseur Boréal