L'Américain et le chalutier - Finistère sud - 27 au 29 septembre 2011)
Une tempête ou je ne sais quel phénomène météo éclate sur les rivages orientaux de l'Amérique du Nord... Et tous les oiseaux US déboulent sur les côtes de la Manche et de l'Atlantique... Moi, je suis au coeur du Limousin, bien à l'abri du phénomène... Pas d'inquiétude, personne ne viendra jusque là... Supplice de Tantale... Mais c'est loin la Bretagne... Et incertain... La plupart des "raretés" sont vues une fois, sur une côte quelconque et disparaissent... Et si je partais pour rien... Je tourne le problème dans ma tête...
Et puis, je me décide : deux objectifs... D'abord, un Chevalier Grivelé - la version made in America de notre guignette -, localisé depuis plusieurs jours sur le minuscule étang de Nerizellec, dans la baie d'Audierne... Ensuite, une sortie en chalutier depuis le port du Guilvinec, sur la journée... Projet ancien dont la réalisation semble opportune et donnera, quoi qu'il arrive, de la substance et du sens aux kilomètres que je vais me taper...
Après, on verra...
Etang de Nerizellec - Chevalier Grivelé
Début d'après-midi, petit parking, marée basse... Une plage de sable gris et un dauphin mort... Soleil... Un talus de galets, bosselé et serpentin, auquel s'adosse la grève... De l'autre côté, une petite lagune, avec roselière et vasières... Des ornithos sont là, assis sur les pierres, apparemment desespérés... J'attends un peu : nada !... Je profite du râteau pour aller au Guilvinec m'inscrire pour la sortie en chalutier... Je reviendrai plus tard...
17h00... Je suis de retour, même endroit... Plus personne... Sauf moi et le Chevalier Grivelé qui gambade à mes pieds, juste en bas du talus, au bord de l'eau !...
Totalement indifférent à ma présence... Il passe et repasse sans même lever la tête... Ces Américains !... La lumière a baissé, mais ça va... Je déclenche... Je déclenche... Et je déclenche...
Et puis, il en marre... Il va se percher sur un galet, au milieu d'une minuscule vasière... Il regarde à droite, à gauche et puis s'envole vers le fond de l'étang pour disparaître derrière le rideau des roseaux... Ite missa est... Trente secondes après son départ, arrive le premier des trois ornithos qui vont me rejoindre... Je raconte ma torride étreinte... Je montre les clichés sur l'écran de contrôle de mon boîtier... Je reste un moment... On scrute et on surveille... Mais plus de chevalier grivelé... Pas mal pourtant : un Bécasseau Tacheté (autre américain) planqué dans les roseaux, un Courlis Corlieu, une Sterne Caugek et des Mouettes Mélanocéphales... Un Torcol Fourmilier posé un moment sur un buisson...
J'ai ma dose... Je pars marcher le long de la plage... La mer est presque à marée haute maintenant : Bécasseaux Sanderling, Variables et Minutes, Grands Gravelots et Tournepierres à Collier...
Pas si mal pour un début... A propos, pour ceux qui connaissent le chevalier guignette, qu'on voit chez nous, le grivelé est quasi identique, sauf que ses pattes sont franchement jaunes et que quelques subtilités sont décelables - seulement pour les initiés - sur les couvertures alaires... Pas grand chose... Mais comme souvent avec les oiseaux, dès on voit la bête, on sait ...
Sortie en mer
Le lendemain, 5h45... Sur un quai du port de pêche du Guilvinec, devant mon chalutier... Je suis rejoint par l'équipage : le patron et deux hommes de bord... Il fait nuit, bien sûr... On monte et on part... C'est aussi simple que ça... Tout le monde est sympa et fait son boulot... Direction le large et premier trait lancé à une dizaine de kilomètres de la côte... La langoustine est la proie... Au lever du jour je commence à observer quelques oiseaux : Goélands Argentés et Bruns... Puffins des Baléares, difficiles à saisir en vol, au ras des vagues, indifférents au bateau...
Puffin des Baléares
Des Fous de Bassan, très nombreux, de tous âges...
Fou de Bassan immature
Fou de Bassan juvénile
Des Sternes Pierregarins...
Sterne Pierregarin
Un Guillemot de Troïl, posé sur l'eau...
Un mot sur le boulot de pêcheur, que je ne connaissais pas : c'est dur... Des journées de malade... Déterminées par le lever du soleil... Vers le solstice d'été, en juin, départ aux alentours de 3h00 du matin... Quelle que soit la saison, retour à 17h00 pour la vente... Il s'agit de tirer le chalus, 300 mètres derrière le bateau, sur des fonds sableux, entre des rochers... Et on ne sait jamais où est exactement le filet... Le patron anticipe et reste concentré toute la journée : recherches des langoustines, slalom à l'aveuglette entre les roches où l'on pourrait s'accrocher... Quand les traits sont tirés, les deux pêcheurs foncent à l'arrière et hasardent leurs bras et leurs mains au milieu des chaînes, des plaques de ferrailles et des câbles, inextricables bien sûr à mes yeux de terrien... Flippant... Ensuite, ils trient... Toute prise de moins de 9 cm sera rejetée à la mer... Je découvre l'existence de langoustine énormes, jamais vues dans des restaurants... Il y a aussi des poissons pris par hasard : soles, colins, roussettes, lottes... Des tourteaux et des araignées de mer... Aussitôt après le tri, nettoyage du pont... Et là, ça rapplique de partout... La table est mise...
Des Dauphins Communs, par dizaines...
J'ignore si la sortie du filet a un rapport avec leur arrivée, mais deux fois sur trois, ils sont là... Ils passent au ras du bateau et jouent... Des petis et des grands...
Des dizaines de goélands glissent sur l'aile dans le sillage du bateau où les déchets sont abandonnés... J'observe quelques Océanites Tempêtes, minuscules et difficiles à cadrer dans la cohue... Comparer la taille de l'oiseau avec celle du goléand, flou, en arrière-plan...
Océanite Tempête
Des Mouettes de Sabine se joignent à la curée... Elles arrivent des côtes nord-est de l'Amérique et sont en route vers le sud... Dessin caractéristique du dessus des ailes... Sur les photos, on constate que les plumages sont à des stades différents selon les individus...
Mouette de Sabine (plumage nuptial)
Mouette de Sabine (plumage internuptial)
Mouette de Sabine (plumage en phase intermédiaire)
Les Grands Labbes sont invisibles tout au long de la journée mais rappliquent immanquablement au moment du repas, surgis de nulle part...
Grands Labbes
Ils font leur fête aux autres oiseaux et leur chapardent leur butin...
Grands Labbes
C'est leur sale boulot, ou plus précisément leur niche écologique...
Les sternes passent à toute vitesse dans ce tohu-bohu d'ailes blanches, dessiné à 80% par les goélands... Mais j'ai de la chance et je parviens à saisir dans le viseur une Sterne Arctique juvénile...
Sterne Arctique juvénile
Les phases de rejet sont riches en oiseaux, mais brèves... De plus, en deux occasions sur trois, elles se déroulent avec le soleil dans la figure... C'est dire les difficultés que je rencontre pour photographier, voire même pour observer... Et le bateau s'éloigne au fur et à mesure que les oiseaux se posent... Mais, ça ne fait rien, ça vaut franchement le coup...
Le temps passe et je suis bien... Toujours sur le pont, le nez dans le vent... A scruter... Quelques Poissons Lunes signalent leur présence par leur dorsale surdimensionnée qu'ils laissent paresseusement traîner à la verticale hors de l'eau...
Je deviens regard et rien d'autre... Je pourrais rester plus longtemps encore dans cette expectative... La mer vit plus sûrement encore que la terre ferme... On n'imagine pas le nombre d'oiseaux, de cétacés et de poissons qui peuplent cette nature sans repères... Alors, on peut prendre le risque d'attendre...
La journée passe comme un souffle... Tous les chalutiers tracent vers le port... Arrivée devant le marché, débarquement de la pêche : 180 kg de langoustines... Accostage... Un quart d'heure à peine et le prix du jour est fixé... Tout le monde rentre à la maison... Mes compagnons du jour me demandent où je dors... Je réponds que je n'en sais rien... C'est la vérité et j'aime ça... Claqué... Du sel plein la gueule et le sol qui demeure desespérément stable sous mes pas... Je vais m'habituer...
Une coche pour finir
Vous ne saurez pas où j'ai dormi, j'étais tellement vanné que je ne le sais plus moi-même... Le lendemain matin, pour le retour, je fais un détour par l'Ille-et-Vilaine... A l'étang de Pain-Tourteau, commune d'Erbrée... Un grand étang avec une clôture... Peu de routes pour y accéder... Mais une Erismature à Tête Blanche a été vue sur ce plan d'eau... Et je n'en ai jamais vu... Rare et seulement présente normalement dans le sud de l'Espagne...
Je finis par trouver un accès, avec une trouée dans les arbres... Très nombreux canards : Colverts, Milouins, Morillons surtout... Et puis quatre petits points sombres : trois Erismatures Rousses et mon Erismature à Tête Blanche, un mâle...
Très, très, très loin... Et aucune chance d'approcher... Je fais ce que je peux... Le sujet sur la photo n'est pas plus gros qu'une crotte de mouche, mais c'est quand même mon oiseau...
Ensuite, je rentre à la maison...